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rendre compte à une suggestion fortuite, un travail poursuivi sans relâche pendant plusieurs années ne saurait procéder d’un caprice momentané ni d’une occasion matérielle. Or Cornélius avait quitté Francfort depuis longtemps lorsqu’il adressa la seconde partie de ses dessins à Goethe avec une lettre qui porte témoignage de la pensée toute nationale qui les avait inspirée. Goethe, devenu peu à peu étranger aux dispositions dans lesquelles il avait composé le premier Faust, était en plein dans sa période d’hellénisme. Le progrès de ses réflexions, l’expérience, le dégoût des aberrations romantiques, le dégageaient de plus en plus des rêveries maladives en le rattachant au sens pratiqué de la vie. Il n’était guère en humeur de goûter sans réserve un interprète si naïvement pénétré des idées et des émotions qui lui représentaient une jeunesse déjà bien lointaine. Après avoir vu les sept premiers dessins, il écrivit pourtant à l’artiste une lettre polie, où l’éloge est tempéré par l’avertissement et où il est curieux de voir le poète signaler lui-même les écueils d’une route qu’il avait ouverte un des premiers. « Les momens, dit-il, sont bien choisis et représentés avec bonheur. En vous transportant au sein d’un monde que vous n’avez point vu, dont vous ne pouvez avoir idée que par les maîtres anciens, vous êtes parvenu par un effort puissant à vous y reconnaître, à en rendre heureusement et comme choses qui vous seraient familières non-seulement le costume et le dehors, mais encore la manière de sentir. Vous avez toutefois un péril à éviter. L’art allemand du XVIe siècle, qui, comme une seconde nature, sert de base à vos travaux, ne peut être conçu comme parfait en soi ; il ne s’est pas développé complètement, il a poursuivi un but qu’il n’a point pleinement atteint comme l’art italien. Laissez faire ce sentiment du vrai qui est en vous, mais exercez en même temps, par l’étude de ce que l’art antique et l’art moderne ont produit de plus parfait, le sentiment du beau, pour lequel vos dessins attestent les plus heureuses dispositions. » Et Goethe terminait sa lettre en recommandant au jeune artiste d’imiter Albert Dürer, qui avait su alimenter et purifier sa flamme au foyer italien.

Ce dernier conseil était au moins superflu. Depuis plus de deux ans, Cornélius rêvait de faire son pèlerinage d’artiste en Italie, et il s’y était préparé de longue main. Il arrivait à Rome à la fin de 1811, après avoir fait avec son ami Ch. Xeller, de Biberach, la plus grande partie de la route à pied. La nombreuse colonie d’artistes allemands qui s’y trouvait alors était divisée en deux camps : d’un côté les admirateurs passionnés de l’antique, entre autres Thorwaldsen et Koch, auxquels se joignaient, peu de temps encore avant l’arrivée de Cornélius, Wæchter et Schick, successeurs