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chambellans en cravate blanche, de toute leur maison en habit de cour. Disons tout de suite que le roi lui-même avait imposé à l’artiste de donner place à la famille royale dans sa composition ; cela ne justifie cependant ni la manière dont Cornélius a rempli cette condition, ni même la faiblesse de l’avoir acceptée.

Dès que le carton, très visité et fort applaudi à Rome, parut à Berlin, Cornélius put juger à quel point il avait cessé d’être en harmonie avec le public allemand, et voir que l’éloignement était devenu de l’abandon. Justement inquiet des tendances qui se faisaient jour en Allemagne, il ne savait pourtant pas combien le naturalisme de son élève Kaulbach, transfuge des hautes doctrines du maître et maintenant l’idole de la ville, combien les niaiseries domestiques de l’école de Dusseldorf avaient gagné de terrain. Déjà quelques années auparavant, à la vue de l’idéalisme trahi et de la grande peinture en détresse, Cornélius, en passant par Munich, avait jeté le cri de mort « aux brocanteurs de l’art. » Maintenant que c’en était fait, il pouvait s’expliquer clairement, et le 20 mai 1855, à Rome, sur le théâtre de ses premiers travaux, dans une fête donnée par les artistes à l’ancien roi Louis, il put dénoncer ce qu’il regardait comme un humiliant déclin et comparer cette déviation à la voie hardie que ses amis et lui avaient ouverte à l’art il y avait un demi-siècle. « L’hôte qui nous honore de sa présence reconnut comme nous alors la sainte mission de l’art et sa part immense dans la culture des peuples. Non, l’art n’est pas une sucrerie pour la table des riches et des grands, c’est un aliment substantiel à l’usage de tous ; bienfaisant comme la nature, généreux comme le soleil, il prodigue ses rayons aux petits comme aux grands, aux pauvres comme aux riches. » Et, reconnaissant ce qu’il devait lui-même à la protection du roi Louis, il rappelait sans orgueil, quoiqu’avec une légitime fierté, les services rendus, les travaux accomplis, l’impulsion donnée par lui sous l’empire de principes qui lui paraissaient la vérité.

Ainsi se renouait à ses jeunes années, par la ferveur d’un enthousiasme inextinguible et l’intégrité des convictions, sa verte et vigoureuse vieillesse ; ainsi ses déceptions mêmes semblaient le rattacher à Rome et l’y fixer pour toujours. A toutes les époques importantes de sa vie, il était venu s’y retremper ; pas un de ses grands travaux qu’il ne fût venu méditer au pied des chefs-d’œuvre qu’il admirait, et jamais l’inspiration qu’il sollicitait n’avait manqué de jaillir pour lui de cette terre sacrée. Sa fille s’était mariée à Rome au comte Marcelli et lui avait donné un petit-fils. Veuf de sa première femme, il avait épousé en 1855 une jeune et belle Italienne, et cette union était un nouveau lien que rien, à ce qu’il semblait,