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II

Une œuvre empreinte dans toutes ses parties d’un caractère de dignité supérieure et d’une volonté qui ne connut jamais la lassitude demande assurément à être jugée avec respect et maturité. Ce qu’elle a d’imposant ne doit pas cependant intimider notre esprit, et il ne faut pas que la réserve aille jusqu’à énerver la critique, Cornélius a été un artiste révolutionnaire, et il voulait l’être, disposition toujours dangereuse, car la loi de continuité, souveraine dans l’art comme partout, ne se laisse pas violer impunément. Or, aujourd’hui que les illusions d’un idéalisme exalté sont enfin dissipées, on ne peut pas dire que cette tentative ait réussi. Chez Cornélius, la sincérité profonde de la foi catholique n’excluait pas l’audace de l’esprit ; l’isolement dans lequel il parut s’enfermer à certaines époques ne l’empêcha point de suivre pas à pas les spéculations agitées de l’esprit contemporain, de se pénétrer des systèmes nouveaux à peine élaborés, d’en transporter quelque chose dans ses œuvres avant qu’ils eussent subi la salutaire épreuve, du temps. Cette solidarité a nui à ses travaux en les frappant d’une vieillesse précoce ; ils ont vieilli parce que, sous l’empire d’une préoccupation trop exclusive, l’artiste a cru pouvoir se passer des qualités d’exécution qui seules assurent la durée ; ils ont vieilli surtout parce qu’au lieu des simples et immuables idées qui sont la lumière commune des esprits et des primitives émotions de l’âme, toujours reconnaissantes à travers les enveloppes diverses qu’elles revêtent selon les pays et les temps, le peintre s’est trop attaché à exprimer de fragiles théories nées d’une fièvre passagère de spéculation et qui devaient tomber avec elle. Par une méprise généreuse, il a lié le sort de la peinture à la destinée d’une philosophie incertaine où il croyait voir un trésor de vérité. Cette philosophie a péri, et la peinture de Cornélius subsiste comme le témoignage de moins en moins intelligible d’un ordre d’idées évanoui et d’une tentative de rénovation avortée.

Le grand courant de sentimens patriotiques auquel les événemens de 1806 avaient ouvert les écluses détermina d’abord la direction de Cornélius, et qui pourrait lui faire un reproche de s’y être abandonné ? En trouvant la peinture débilitée par la reproduction peu convaincue d’un idéal conventionnel, et les principes remplacés par le culte de la mode, un artiste estimable, Asmus Garstens, avait tenté un retour vers l’antiquité dans le temps même où d’une main tout autrement puissante David imprimait chez nous à l’art un mouvement analogue. Cette voie fut vite abandonnée,