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l’espionnage y est inconnu, toutes les opinions s’y démasquent avec confiance. Les Anglais ont en outre l’habitude de prononcer à la fin de certains repas des toasts qui contiennent presque toujours des jugemens sur les affaires du jour. La politique est ainsi en Angleterre de tous les rendez-vous et de toutes les tables. Qu’on ajoute à cela une presse souverainement libre, et l’on conviendra que dans un pays où chacun peut tout, dire, tout écrire, tout imprimer, c’est bien la faute des citoyens s’ils se trompent sur le choix de leurs représentans.

A peine les nouvelles élections sont-elles annoncées qu’il se forme partout des comités pour examiner les titres des candidats. Diverses influences peuvent agir sur le choix des personnes ; mais il en est une du moins qu’on ne rencontre nulle part, c’est celle du gouvernement. La fortune la naissance, le talent, désignent en général les noms autour desquels viendront se rallier les forces de chaque parti. C’est assez dire que les différentes classes interviennent dans la lutte avec des chances inégales. Et pourtant qu’on y prenne garde, le candidat dépend de ceux qui par position sont mieux à même de choisir ; mais il dépend aussi, quoique moins directement, de ceux qui n’ont point même le droit de voter. L’interpellation, les lettres adressées aux journaux, les placards sur la voie publique, sont ici des armes entre les mains de tout le monde. Dans les meetings, le nombre des vrais électeurs est souvent en minorité ; qui oserait pourtant nier l’influence de telles assemblées sur le choix des candidats et sur les résultats définitifs de la lutte, surtout au sein des grandes villes ? Aucun ouvrier n’a été jusqu’ici élu par les constituencies, et aux yeux de plusieurs Anglais éclairés c’est une lacune regrettable ; mieux que tout autre, selon M. Stuart Mill, le travailleur serait à même de traiter certaines questions de travail. Les working men n’en ont pas moins au sein de la chambre des communes de vigoureux défenseurs, dont quelques-uns comptent parmi les orateurs les plus éminens et les plus grands philosophes de l’Angleterre. Les idées de la classe ouvrière ont une place au parlement, si ses hommes n’y ont point encore de siège. Aussi n’est-il point un seul d’entre les artisans qui, tout en se plaignant de la loi de 1832 et en demandant qu’on élargisse la base du système, ne préfère de beaucoup des élections restreintes où l’on peut tout dire à un suffrage universel sans liberté. Combien parmi ceux qu’excluait du vote la législation de 1865 prirent au mouvement une part bien plus active que les électeurs eux-mêmes ! Je pourrais citer, par exemple, la candidature de M. Hughes, dont le succès a été en grande partie assuré par les efforts volontaires et intrépides des ouvriers de Lambeth.