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vous votre cliente, monsieur Patru ? Direz-vous qu’on l’a tourmentée, obsédée, qu’on lui a extorqué ou arraché son consentement ? Toujours est-il qu’elle a consenti. J’imagine d’ailleurs qu’elle n’a pas résisté longtemps. Cette nature molle, dont le laisser-aller fait le charme, doit avoir un penchant à s’abandonner aux événemens ; elle a trouvé des raisons décisives pour se persuader que son devoir était de céder, et, la vanité aidant, elle a épousé son marquis à corneilles. Je sais bien qu’aujourd’hui elle a oublié qu’elle est marquise et qu’elle ne souffre pas qu’on le lui rappelle, elle boude un hochet qu’elle a payé si cher ; mais elle n’a pas l’air de se rien reprocher. On n’a jamais vu aucune femme mépriser sincèrement les vanités du monde. Les plus romanesques sont encore les plus sages, du moins elles placent haut leur chimère ; les autres, faute d’un nuage où se bercer, se rabattent sur les bibelots, habillent leur poupée, la dorlotent, la font causer. Un méchant accident a cassé la poupée de Mme d’Azado ; il faut espérer qu’elle en avait de rechange.

« Son malheur est qu’elle n’a point d’âge. Est-ce une jeune fille ? est-ce une femme ? Elle a été mariée, mais si peu ! Si l’on en croit son visage, elle a vingt ans. Qu’en dit son cœur ? qu’en disent ses souvenirs ? C’est une maison toute neuve où il revient des esprits. Elle a débuté dans la vie par un calcul, et pendant sept ans une sinistre vieillesse l’a enveloppée dans son ombre ; il y a de quoi défraîchir toute une vie. Je crois qu’elle cherche à se dérober à ses souvenirs, elle voudrait oublier ; elle a manqué son entrée, elle demande à recommencer. C’est demander un miracle, jamais papillon n’obtint du ciel de rentrer dans sa chrysalide. Il n’y a qu’une chose qui soit bien à nous dans ce monde, c’est notre passé. Impossible de nous en défaire... Cependant si Mme d’Azado avait la bonne chance de rencontrer un beau garçon qui eût l’humeur et les goûts jeunes et les sens encore neufs, le miracle désiré s’opérerait peut-être. Le calcul lui ayant mal réussi, elle a soif d’aimer, et elle aimera avec passion, avec dévotion : elle a découvert un peu tard qu’elle est faite pour cela. Un amour partagé serait sa fontaine de Jouvence. Puisse son vœu s’accomplir ! Les partis ne lui manqueront pas, je crois m’apercevoir qu’on s’occupe beaucoup d’elle, j’entends souvent prononcer son nom sous les arcades ; plus d’un hardi chasseur s’apprête à la coucher en joue. Il ne faudrait pourtant pas que le beau garçon fût un bélître.

« Je trouve dans une lettre que m’écrivait mon père il y a dix-huit mois les lignes que voici : « Il faut songer sérieusement à te marier, Didier. En province, le mariage est d’obligation. Je te souhaite une femme qui ait peu de fantaisies, beaucoup de principes