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frontière, largement ouverte, lui donne le choix parmi les objets de consommation qui sont à sa portée, et la quotité d’impôts qu’elle paie en moyenne n’est que de 10 francs par tête, tandis que cette quotité s’élève en France, tout compris, à plus de 60 francs, Ce sont là en industrie des avantages significatifs, des compensations qui permettent de maintenir les salaires à des taux tellement réduits qu’ils paraîtraient dérisoires dans des pays moins ménagés par la fiscalité. Il n’est pas rare en effet de voir, dans les cantons du nord et pour certains travaux, le prix de la journée descendre en Suisse à 1 fr. 50 c, même à 1 fr. 25 c. pour les hommes, à 80 et 90 centimes pour les femmes. Ce ne sont, il est vrai, que des tâches de manœuvres ; mais encore faut-il que ces manœuvres puissent vivre. Comment s’en tirent-ils ? Mieux qu’on ne le supposerait. Ces prix ne subsistent guère que dans les campagnes, où chaque homme a son chalet avec un morceau de champ, quelquefois une basse-cour et une étable. Ce salaire n’est donc qu’un supplément, et, si mince qu’il soit, l’ouvrier s’en contente ; il sent que l’industrie locale, dans les conditions d’isolement où elle se trouve, est une entreprise de gagne-petit qui ne s’accommoderait pas de prétentions exagérées. Il y conforme le loyer de ses services et la rend viable à cette condition. De son côté, le fabricant se contente de profits modérés et vit près de ses ouvriers avec une simplicité qui désarme leurs jalousies. L’industrie suisse marche ainsi sans bruit ni grèves, comme un produit de mœurs saines et d’institutions libres. L’exposition réfléchit bien la solidité de ses mérites. Rien au clinquant, rien pour l’effet ; ses étoffes, ses rubans sont donnés pour ce qu’ils sont, offerts pour ce qu’ils valent, sans qu’aucun apprêt les relève ou qu’un arrangement d’étalage les mette mieux en relief. On peut les palper, les examiner à la loupe, compter les duites, tout est sincère dans la montre qu’on en fait. L’assortiment entier, de dispositions, modestes, ne vise pas plus haut que la consommation courante, mais il remplit bien cet office. Les dessins, constamment simples, sont choisis avec goût, les couleurs sont franches, le tissu est ourdi avec soin, les prix, tels qu’on les établit, sont à la portée des moindres fortunes. Isolés, ces titres ne sont pas communs ; réunis, ils classent une industrie parmi les plus méritantes. Dans cette distribution, Bâle a les rubans, Zurich les étoffes ; les deux cantons, en bons confédérés, semblent s’être partagé les rôles sans se porter envie ni se nuire réciproquement.

Une remarque à faire sur ces fabrications, c’est qu’elles emploient, au moins en mélange, la bourre de soie, ou, en termes de métier, la fantaisie. Cette fantaisie se compose des déchets de la