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interrompu. Tout calcul fait, les Indes anglaises pouvaient seules en former le principal appoint ; malheureusement la qualité du coton était des plus médiocres. Le produit se ressentait du traitement empirique auquel les natifs soumettaient la plante ; dans une cueillette faite sans soin, ils énervaient la fibre et la laissaient en outre chargée d’impuretés. C’est avec ces cotons lentement et insuffisamment améliorés que pendant cinq ans au moins ont marché nos tissages. Les besoins étaient tels qu’on ne regardait ni aux qualités ni aux prix, et par suite il existe aujourd’hui tant dans les magasins de détail que dans les réserves des ménages une masse d’étoffes qui n’ont ni le nerf ni la finesse de celles d’autrefois. L’apparence y est, grâce à l’apprêt qu’on leur donne, mais c’est au fond un produit inférieur et peu durable. Nul doute qu’à la longue l’industrie n’eût périclité, si le coton américain, réintégré sur nos marchés, ne fût venu la relever de cette déchéance.

C’est là ce qui répand une ombre sur les expositions des tissus de coton ; elles sont le dernier témoignage de deux faits fâcheux : des prix élevés, des matières médiocres. Que nous sommes loin des prodiges de rabais de 1855, quand Manchester, représenté par un comité, groupa les échantillons de ses industries dans un imposant ensemble ! Il y avait dans le nombre un petit article qui fit alors beaucoup de bruit, un calicot de 80 centimètres de largeur offert au prix de 17 centimes le mètre, — tour de force probablement ; — mais avec cette circonstance que la marchandise voisine ne s’en éloignait guère : 20, 25, 30 centimes le mètre, en fils Louisiane très corsés, très soyeux, donnant des tissus d’un bel aspect et d’un bon usage. Où sont aujourd’hui ces qualités, et là où elles reparaissent, quels en sont les prix ? Tant qu’on ne nous aura pas rendu la recette autrefois vulgaire de produire bien à bon marché, les expositions manqueront une partie de leur objet et la plus essentielle, la diffusion de l’aisance dans les classes où elle ne pénètre que lentement. Un autre mécompte pèse sur celle-ci, la mode s’est détournée des tissus de luxe dans ce qu’ils avaient de plus achevé. L’Alsace y était inimitable, et chaque année elle ménageait de nouvelles surprises au public. L’imagination de ses fabricans a-t-elle cédé à un moment de lassitude ? Non ; elle invente encore, multiplie ses nouveautés, couvre ses jaconas, ses basins, ses piqués, ses mousselines, des couleurs les plus fraîches ; elle est toujours aussi bien inspirée, aussi habile, aussi active ; seulement c’est pour les marchés étrangers qu’en grande, partie elle travaille ; le. goût des toiles peintes, pour employer le nom qu’on leur donne, a passé parmi nous, et il faut dire que les saisons, comme elles se succèdent, ne se prêtent guère à un retour de faveur.