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apprend, s’écrie-t-il, que le germe de la rébellion, bien que répandu en terre par la main d’un faquin, a souvent poussé des racines et porté des fruits détestables. On dira qu’aujourd’hui, avec notre organisation militaire et la discipline de nos armées, on a bien vite fait leur procès aux rebelles. A merveille ! Mais n’est-il pas possible qu’officiers et soldats se laissent infecter des principes de nos petits Brutus ?… D’où provient la sûreté de nos princes et la fidélité de leurs soldats ? Ces soldats sont des chrétiens. S’ils ne le sont pas toujours dans le sens le plus rigoureux du mot, ils portent du moins gravés dans leur cœur les préceptes fondamentaux de l’Évangile sur les droits de l’autorité et sur les devoirs des sujets. Mais resteront-ils chrétiens ? ne perdront-ils pas avec le respect des choses saintes le respect de leurs supérieurs et l’horreur de la révolte, s’il est permis à tous nos beaux esprits manques de bafouer à la face du ciel la religion chrétienne et la Bible ? J’espère que par la grâce de Dieu le temps est proche qui mettra un terme à ces désordres révoltans, et que de grands personnages, au nom de leur sûreté personnelle et pour éviter d’avoir un jour à châtier des malfaiteurs par le glaive et la roue, imposeront un frein à ces méchans fous et à leurs insolentes témérités. »

il est curieux de voir ce qu’écrivait Lessing à ses amis pendant le cours de ces orageux débats. Ses lettres n’abondent pas en confidences, Lessing n’avait guère pour confident que lui-même ; mais il tenait à ce que son frère et ses amis de Berlin ne se méprissent pas sur le véritable sens de la pièce à grand spectacle dont il régalait l’Allemagne et sur le rôle qu’il y jouait. Il les trouvait parfois un peu lents à comprendre. Le 25 mai 1777, il écrivait à Nicolaï : « Ce que vous me dites de la mauvaise opinion qu’ont de moi et les théologiens et les libres penseurs de Berlin me fait, souvenir que pendant la guerre de sept ans je passais à Berlin pour un archi-Saxon, à Leipzig pour un archi-Prussien, et cela parce que je n’étais et ne devais être ni l’un ni l’autre, — du moins pour composer ma Minna de Barnhelm. » Quelques jours plus tard, s’adressant à son frère : « Les théologiens gardent encore le silence sur les fragmens de mon inconnu ; cela me confirme dans la bonne opinion que j’eus toujours de ces messieurs. Avec les précautions convenables, on peut écrire sur eux ce qu’on veut. Ce n’est pas ce qu’on leur ôte, c’est ce qu’on veut mettre à la place, qui les fâche, — et non sans raison. Si le monde doit être pipé par des mensonges, les vieux mensonges, déjà en cours, sont aussi bons pour cela que les nouveaux. » Dans une lettre du 28 février 1778, il s’écrie : « Je me réjouis de ce que tu commences à goûter le haut comique de cette guerre de plume, au prix de laquelle toutes mes élucubrations