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moyen. On la retrouve encore partout sous des noms différens ; nous l’appelons en France société en nom collectif.

La société que nous venons de décrire mettait hors du commerce et de l’industrie l’ordre le plus puissant dans l’état, parce qu’on ne pouvait y entrer sans faire acte de négoce et par suite sans déroger, ce qui entraînait la perte de la noblesse. Il devint cependant possible aux gentilshommes de participer à des opérations commerciales, grâce à une seconde combinaison qui leur permît de s’intéresser aux affaires sans y mêler leur personne, ni faire œuvre de roture. Ils devinrent les commanditaires, c’est-à-dire les bailleurs de fonds d’entrepreneurs qui étaient seuls tenus à l’égard du public, mais avec lesquels ils entraient en compte. Il n’y avait que leur mise d’engagée dans l’affaire, et, celle-ci venant à mal tourner, aucun recours ne pouvait atteindre le reste de leurs biens. Les créanciers n’avaient pour gage que le capital social et l’obligation illimitée de l’associé en nom ou gérant. Cette espèce d’association ne servit pas seulement aux gentilshommes préoccupés de ne pas déchoir, elle fut employée par les capitalistes timides qui, redoutant les aventures, ne voulaient risquer dans certaines affaires que des sommes limitées. Cette société a été appelée commandite.

Le développement du commerce et de l’industrie dans les grands états créa des affaires considérables et hors de proportion avec les fortunes des particuliers. De quoi servait la garantie même solidaire d’associés même riches pour des entreprises qui portaient sur des centaines de millions ? Cette responsabilité ne pouvait pas rassurer les tiers, et d’ailleurs où trouver un gérant sérieux qui consentît à répondre d’engagemens disproportionnés avec sa fortune ? La force des choses amena donc à supprimer le gérant commandité et indéfiniment responsable pour le remplacer par un mandataire, administrateur ou directeur, faisant les affaires des associés sous la surveillance d’un conseil élu par eux et chargé du contrôle. Comme personne ne figurait plus en nom dans la raison sociale, cette société fut appelée anonyme chez nous, et, comme tous les associés n’étaient tenus que pour une somme déterminée, les Anglais l’ont nommée société à responsabilité limitée (limited liability). — Solidarité, commandité, anonymat, telles sont les combinaisons qui jusqu’à ces dernières années ont été pratiquées, et, un très long temps s’étant écoulé sans qu’une manière nouvelle de grouper les capitaux vînt s’ajouter à celles-là, on avait été porté à croire que la liste était close, et qu’il était impossible d’élargir le cercle. D’excellens esprits soutiennent même encore qu’il n’y a pas à en sortir, et que toute tentative de nouveauté est d’avance condamnée à l’insuccès.

Le législateur, suivant en cela une méthode qu’il avait adoptée plus d’une fois, est intervenu non-seulement pour fermer la