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approuvée sans restriction ? Elle a, selon nous, exagéré une mesure qui était bonne, et nous ne doutons pas qu’une réaction prochaine n’en modère la portée, car dans quelques cas la contrainte personnelle, si odieuse en général, était un ministre de la morale justement indignée. Mettre sous les verrous le débiteur insolvable, mais de bonne foi, est sans doute une mesure que la morale et la justice réprouvent. La loi déclare insaisissables les outils d’un ouvrier ; était-il conforme à l’esprit qui a dicté cette disposition de s’emparer de celui qui se sert de ces outils, de condamner au repos stérile un homme qui pourrait gagner sa vie en travaillant et de consommer la misère de sa famille ? Était-il même strictement équitable d’exercer une coaction sur la personne, afin de forcer ses parens, en réveillant leurs sympathies pour celui qui souffre, à payer des dettes qu’ils n’avaient pas contractées ? La situation est toute différente en présence d’un débiteur solvable, mais qui refuse d’exécuter ses engagemens, et, à raison de quelque circonstance particulière, ne peut être contraint à les remplir. Tel serait celui qui, vivant du revenu de rentes sur l’état, — rentes qui sont insaisissables, — ne voudrait pas payer ses dettes, et aurait l’impudence de profiter aux dépens de ses créanciers d’une règle qui a été établie dans l’intérêt du crédit public. La contrainte par corps était, avant la nouvelle loi, le seul moyen de le forcer à rembourser ce qu’il empruntait, et aujourd’hui les créanciers se trouveraient désarmés devant ce débiteur malhonnête. Il fallait donc distinguer, comme le proposait l’auteur d’un amendement, M. Mathieu, entre le débiteur insolvable et le débiteur frauduleux, supprimer la contrainte à l’égard du premier et la maintenir contre le second. Poursuivre la fraude, épargner le malheur, voilà quelle était la solution véritablement morale, et on y reviendra au premier scandale qui froissera la conscience publique ; mais cette indignation était-elle si difficile à prévoir ? Personne n’ignore l’histoire de ce traitant fameux qui, vers la fin de la restauration, pour se dispenser de payer ses dettes, bien qu’il fût en mesure de le faire, aima mieux subir cinq ans d’emprisonnement. La distinction entre le débiteur frauduleux et le débiteur insolvable a été repoussée, parce qu’on a craint de donner aux juges un pouvoir d’appréciation trop voisin de l’arbitraire. Cette différence, disait-on, serait souvent difficile à saisir, et des orateurs qui ordinairement professent une grande confiance dans la magistrature ont cette fois déclaré qu’ils ne voulaient pas faire aux tribunaux le don d’une attribution aussi embarrassante. Ils n’ignoraient cependant pas que les juges avaient à faire la même appréciation en vertu d’une disposition fort ancienne. Lorsqu’un débiteur, pour échapper à la contrainte