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par corps. Si le procureur impérial ne voulait pas mettre en mouvement l’action publique, la partie intéressée n’aurait aucun moyen de faire juger que son débiteur l’a fraudée, tandis qu’en maintenant la contrainte envers le débiteur de mauvaise foi on mettait aux mains du créancier une arme toujours disponible. Des difficultés s’élèveraient dès qu’il s’agirait d’appliquer la loi qui organiserait la banqueroute civile. Le débiteur condamné comme coupable du crime ou du délit de non-paiement sera-t-il remis en liberté, lorsqu’il offrira de payer ? Si la condamnation est irrévocable, le but est dépassé, puisque la peine est maintenue malgré le paiement. Si au contraire en payant le débiteur reprenait sa liberté, nous tomberions dans une nouveauté bien déplacée parmi les articles du code pénal. Pour la première fois on verrait un bomme déclaré coupable de crime ou de délit échapper à l’exécution de la sentence. Ce serait l’exemple sans précédent d’un jugement qui condamnerait sous condition.

La contrainte par corps, elle, n’est pas une peine subordonnée à la poursuite du ministère public. C’est une voie d’exécution qui indirectement provoque le paiement de la dette, car elle force le débiteur à montrer ses ressources secrètes. Après le délai légal, après le délai maximum de la détention pour dettes, si le débiteur ne s’acquitte pas, il y a présomption qu’il n’a aucun moyen de se libérer, et, s’il en a, sa détention doit être considérée comme une véritable peine. Comme c’est une voie d’exécution employée par le créancier, elle est conciliable avec la mise en liberté après paiement, tandis qu’une condamnation sur la poursuite du ministère public ne pourrait point ne pas être irrévocable, alors même que surviendrait un remboursement.

Les deux lois que nous venons d’examiner ont été inspirées par de bonnes intentions. Les législateurs ont voulu affranchir les conventions de quelques entraves, et prouver qu’ils comprenaient le respect qui est dû à la liberté personnelle. Ils n’ont pas atteint le but en matière de société, et ils l’ont dépassé pour la contrainte personnelle. D’un côté, sous prétexte d’arrêter les manœuvres des malhonnêtes gens, ils ont maintenu ou créé des entraves qui gênent les gens de bien. De l’autre, par intérêt pour les débiteurs malheureux, ils ont désarmé la loi contre les débiteurs sans conscience. En étudiant ces lois, il est impossible de ne pas remarquer, au moins dans celle sur les sociétés, que la rédaction est quelquefois embarrassée. Plusieurs dispositions ne concordent pas entre elles, et d’un titre à l’autre, dans une loi de soixante-sept articles, les interprètes rencontrent assez de textes à concilier pour exercer les esprits les plus sagaces. Cette imperfection dans la rédaction de la loi est-elle un accident ? ne tient-elle pas à quelque cause permanente ? Les