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pourrait-on attendre de l’influence d’un code draconien l’apaisement qu’on a eu l’apparence, de rechercher ?

L’obstination avec laquelle on refuse aux journaux leur juridiction naturelle, le jury, et la publicité des débats des procès de presse fournit matière à des regrets et à des critiques semblables. On n’aura jamais terminé la législation définitive de la presse tant qu’on ne l’aura pas ramenée sous l’autorité du jury, toujours acceptée par elle, tant qu’on aura la prétention de la juger dans le silence et l’ombre. Les délits ou les soi-disant délits de presse ne peuvent avoir pour juge que l’opinion publique et par conséquent les jurés, qui en sont les interprètes naturels. Tous les peuples libres et tous nos maîtres de doctrines constitutionnelles en France envoient la presse devant le jury et lui donnent la défense publique. Quel est l’homme qui a répandu en ce siècle le plus de lustre sur la magistrature française, d’où il était sorti pour entrer dans la représentation nationale et prendre les sceaux ? C’est assurément M. de Serre. « La monarchie constitutionnelle, disait cette intelligence profonde et pure, comme tout gouvernement libre, doit présenter un état de lutte permanent. La liberté consiste dans la perpétuité de la lutte. Il ne faut jamais que la victoire de l’un soit trop complète, trop absolue : une telle victoire serait l’oppression. Les lois elles-mêmes ont donné aux combattans les armes légitimes du combat : ils ne peuvent, sans devenir criminels, en employer d’autres ; mais les lois ont aussi pourvu à leur défaite : elles leur ont assuré un refuge, un asile. Ce refuge, cet impénétrable boulevard, c’est le jugement par le jury. Honneur, immortel honneur au parti généreux qui l’aura respecté dans sa victoire ! Il aura fondé l’honneur de son pays ; que la reconnaissance nationale, qu’une longue durée de pouvoir soit alors son partage ! » M. de Serre connaissait l’Angleterre, « Les grands juges de Westminster sont investis d’une immense considération, ils la doivent à la science, au talent, à l’intégrité ; ils n’est pas un Anglais qui ne les honore au fond de l’âme, mais il n’en est pas non plus qui ne frémirait à l’idée de voir arracher les délits politiques au jugement par jury pour les attribuer aux juges de Westminster. » Si honorable que soit notre magistrature, nous n’avons point ces grands juges de Westminster, dans lesquels sont couronnées les illustres carrières du barreau britannique ; mais une magistrature, pour être plus modeste, n’est pas moins respectable. Ce n’est point par crainte de la sévérité des tribunaux que nous voudrions les conserver en dehors des responsabilités de la justice politique. Partout où existe et a existé l’institution du jury, c’est une erreur et une faute, c’est accomplir une confusion de pouvoirs, que d’appeler la magistrature sur le terrain changeant et agité de la politique. Au fond, nous sommes convaincus de l’impartialité que la masse des magistrats français apportera dans le jugement des procès de presse. Nos magistrats ne sont point