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chambre au pays, nous rencontrons, dans une brochure qui vient de paraître, le nom et l’esprit sagace et modéré du duc Decazes. La Liberté et les conservateurs, tel est le titre de l’excellent écrit que publie le duc actuel. M. Decazes juge la situation présente avec la prudence et la justesse décidées que montra son père au 5 septembre. Il n’est point en son pouvoir assurément de dissoudre, comme fit son père, une chambre introuvable ; mais c’est aux conservateurs qu’il s’adresse, et il leur donne des avertissements confirmés par toutes les analogies de l’expérience historique accomplie depuis quatre-vingts ans. Il démontre aux ultras de la conservation, aux partisans opiniâtres de la résistance, qu’il n’est point vrai que les gouvernemens successivement dévorés par la révolution se soient trouvés en présence d’événemens que la sagesse humaine ne pouvait ni prévoir ni conjurer. Il proteste, l’histoire à la main, contre cette fatalité historique commode à la paresse, à la vanité humaines, et prouve que les rois et les peuples sont maîtres de leur destins. Presque toutes les catastrophes doivent être imputées au système de résistance des ultra-conservateurs fermant volontairement les yeux au présent et à l’avenir. Il presse de ces leçons historiques les conservateurs du présent, leur signale toutes les lacunes qui rendent la situation périlleuse, énumère les réformes réclamées par les nécessités les plus impérieuses et les plus urgentes, et leur déclare que jamais les circonstances ne les ont appelés à exercer sur les destinées du pays une influence plus considérable et plus décisive. Nous recommandons à tous ceux qui prennent intérêt au prochain avenir de la France la méditation de cette remarquable étude d’histoire et de politique que M. le duc Decazes a écrite avec tant d’à-propos.

Les questions étrangères sommeillent, et les intérêts pacifiques des peuples ne se plaignent point de ce repos. À notre époque, on étudie surtout les mouvemens des hommes qui se sont montrés capables de créer des événemens européens. M. de Bismarck, à ce titre, a le don aujourd’hui d’attirer tous les regards. Après quelques propos de mauvaise humeur tenus par lui dans la chambre des députés de Prusse, M. de Bismarck prend un congé illimité et laisse s’achever la session en son absence. Il a échangé de brusques paroles avec les libéraux avancés et avec les conservateurs de la seconde chambre. Ce sont les indemnités accordées au roi de Hanovre et demandées pour les populations hanovriennes qui ont causé cette double fâcherie. Les ultra-libéraux voulaient que le parlement refusât de sanctionner le paiement de 16 millions de thalers effectué par le roi de Prusse au roi de Hanovre en compensation du trône. Le roi de Hanovre, même détrôné, a conservé une fortune considérable, et les libéraux de Berlin se plaignent qu’on augmente ses richesses avec l’or de la Prusse, à laquelle il fait faire de tous côtés une guerre de plume incessante. M. de Bismarck est le seul ministre qui