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de Napoléon; mais, si elle était sans frein, sa profonde ambition n’était pas encore sans prévoyance, et l’empereur comprenait parfaitement qu’il n’était ni opportun ni prudent de mener de front ces deux opérations. Il ne fallait même pas qu’on soupçonnât chez lui la pensée de les jamais entreprendre, car en pareille matière, ainsi qu’il l’écrivait à cette époque à son frère le roi Louis de Hollande, à qui par avance il offrait le trône de Ferdinand VII, « il faut qu’une chose soit faite pour qu’on avoue y avoir songé[1]. »

Retenu à Bayonne jusqu’à la fin de juillet 1808 par les difficultés de plus en plus inextricables dans lesquelles il s’était volontairement jeté en prenant à sa charge les affaires de l’Espagne, l’empereur n’avait plus le temps de s’occuper en grand détail de ce qui allait se passer à Rome. Il s’en était remis à M. de Champagny à Paris, au vice-roi d’Italie à Milan, et sur les lieux au général Miollis, du soin d’y pourvoir, n’intervenant de sa personne que de loin en loin pour imprimer aux uns et aux autres des directions qui ne concordaient pas toujours entre elles, car elles dépendaient de la fluctuation des événemens de l’autre côté des Pyrénées. Lorsqu’il entrevoyait comme prochaine l’issue de la lutte entamée avec la nation espagnole, Napoléon se sentait pressé d’en finir avec la résistance que lui opposait le saint-siège. Quant au contraire la guerre lui paraissait devoir s’éterniser, il prenait son parti d’ajourner à des temps plus opportuns les grands coups qu’il méditait de frapper sur la cour de Rome. En attendant, il a grand soin de ne rien rabattre de ses premières exigences. Avant de quitter Paris, il avait donné l’ordre à son ministre des relations extérieures de sommer encore une fois le saint-père d’avoir à entrer immédiatement dans la confédération italienne, sous peine d’être privé de son pouvoir temporel.


«... S’il s’y refuse, c’est qu’il veut la guerre. Or le premier résultat de la guerre, c’est la conquête, et le premier résultat de la conquête est le changement de gouvernement... La cessation des pouvoirs du légat et son rappel à la veille de la semaine sainte sont des mesures que la cour de Rome n’aurait pas songé à prendre, si elle avait encore été animée d’un véritable esprit évangélique... Quoi qu’il en soit, le saint-père ayant retiré ses pouvoirs au cardinal Caprara, sa majesté ne le reconnaissait plus pour légat. L’église gallicane rentrait alors dans l’intégrité de sa doctrine... Ses lumières, sa piété, continueront de conserver en France la religion catholique, que l’empereur mettra toujours sa gloire à faire

  1. Lettre de l’empereur au roi Louis de Hollande, 27 mars 1808. — Correspondance de Napoléon Ier, t. Ier, p. 500. (D’après l’original communiqué par l’empereur Napoléon III.)