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tourner dans le mien; » Alors tous deux tirèrent leurs bourses; le saint-père n’avait dans la sienne qu’un papetto (vingt baïoques) et le cardinal Pacca trois grossi (quinze baïoques). « Nous voyageons tout à fait à l’apostolique, » s’écria Pacca, et, montrant son papetto à Radet, le pape lui dit également en riant : « Tenez, de toute ma principauté, voilà ce qui me reste. » Une secrète et cruelle préoccupation troublait cependant l’esprit de l’ancien ministre du pape. Il se rappelait que c’était lui qui avait conseillé la publication de la bulle d’excommunication. Nul doute qu’elle n’eût amené les mesures dont le pape était en ce moment la victime. Pie VII, épouvanté des suites funestes qu’elle pouvait avoir pour l’église catholique, ne se repentait-il point de cet acte de rigueur et n’accusait-il pas intérieurement celui qui l’y avait porté? Il semble que le pontife eût deviné la pensée de Pacca. « Cardinal, lui dit-il avec un air de satisfaction, nous avons bien fait de publier la bulle du 10 juin, car aujourd’hui comment ferions-nous[1] ?))

Nous n’entrerons pas dans de grands détails sur le voyage du pape. De Rome à Radicofani, le pape ne fut guère reconnu sur la route, grâce à la prière que lui fit Radet de vouloir bien baisser les stores de la voiture, ce à quoi le saint-père eut la complaisance de consentir; mais cette première journée de dix-neuf heures fatigua extrêmement Pie VII, qui souffrait beaucoup d’une infirmité que le voyage risquait d’aggraver. A Radicofani, la nuit fut mauvaise, et le lendemain 7 juillet le pape, qui avait la fièvre, déclara résolument qu’il ne partirait point avant d’avoir été rejoint par les voitures qui devaient amener sa suite. Elles arrivèrent en effet dans l’après-midi, et le général Radet, qui hésitait entre la volonté de suivre scrupuleusement ses instructions et le désir de ne pas affliger le saint-père, consentit à ce retard. Un autre plus considérable fut occasionné à Poggibonzi par la maladresse des postillons, qui versèrent la voiture où se trouvaient le pape et le cardinal Pacca. Ces retards contrariaient beaucoup le général Radet, car il avait calculé qu’en faisant une grande hâte il devancerait partout la nouvelle de l’arrestation du pape. C’est bien ce qui était arrivé. Le plus souvent les populations des villes et surtout celles des petits bourgs et des campagnes n’avaient en aucune façon deviné quels personnages emportaient ainsi à fond de train ces mystérieuses voitures escortées par des gendarmes qui avaient si grand soin d’écarter tous les curieux. Depuis Poggibonzi jusqu’à la chartreuse de Florence, où Radet avait ordre de conduire le saint-père, il n’y

  1. Œuvres complètes du cardinal Pacca, t. Ier, p. 122.