Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 73.djvu/212

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

état de santé. Gênes appartenait à la France; si le pape était malade, si le pape devait mourir, il était indifférent pour lui, il valait mieux pour elle, qu’il fût malade et qu’il mourût dans les états de son frère que dans les siens. Il fallait surtout éviter qu’il passât en plein jour à Florence, car, si les habitans de sa capitale lui faisaient trop bonne réception, elle en serait elle-même compromise, et voilà pourquoi, malgré ses peines, malgré ses souffrances, quoique ce fût dimanche et qu’il demandât instamment de pouvoir dire ou seulement entendre la messe, ce qui lui fut refusé à son grand désespoir, le pape, séparé du cardinal Pacca, dut se remettre en route sans savoir positivement quel était le lieu de sa destination. Le voyage de la chartreuse de Florence à Gênes dura trois jours. Le pape ne coucha qu’une nuit à Lerici, sans pouvoir y trouver grand repos. On le fit s’arrêter à quelque distance en avant de Gênes, dans une villa de belle apparence appartenant à la famille génoise des Spinola. Un instant le saint-père espéra qu’on l’y laisserait séjourner. Le bruit s’était même répandu dans la ville de Gênes que le pape y ferait son entrée le lendemain et serait logé chez le cardinal Spina. Le peuple de cette grande cité commerciale se préparait à lui faire une réception enthousiaste; mais ce bruit était une ruse. Les autorités françaises de Gênes, en annonçant aux Génois qu’ils verraient le lendemain le pape dans leurs murs, avaient voulu empêcher qu’ils ne se portassent à l’avance à la villa Castegna, où s’était arrêté Pie VII. A Gênes comme à Florence, il eût été trop dangereux de mettre ce pape souffrant et prisonnier en présence d’une grande population dont les sentimens très catholiques et fort peu français étaient alors trop avérés. A la tombée de la nuit, deux litières furent amenées à la villa Castegna, destinée l’une au saint-père, l’autre a son majordome, Mme Doria. Une nombreuse troupe armée les accompagnait. Ces litières emportèrent à la lueur des torches le saint-père et Mme Doria jusqu’au bord de la mer, où une grande chaloupe les attendait[1]. On traversa le golfe de Gênes pendant la nuit, à la rame, pour descendre à Saint-Pierre-d’Arena, évitant ainsi la traversée de la ville, et le saint-père, toujours de plus en plus souffrant et de plus en plus fatigué, fut conduit à Alexandrie. Là, il s’arrêta plusieurs jours dans la maison hospitalière d’une noble famille piémontaise, les Castellani, qui lui témoigna les plus grands égards. On attendait les ordres de Turin. A Turin, le prince Borghèse, pas plus que sa belle-sœur, la princesse Élisa, à Florence, n’avait reçu d’instructions de l’empereur. Il ne se souciait pas plus

  1. Relation manuscrite en italien du premier valet de chambre de sa sainteté. — British Museum, n° 8,389.