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elle écrivait d’un style net et tranchant, un peu âpre parfois, mais toujours digne et contenu. Quand la première épreuve sortit de l’imprimerie Maisonville, Mainfroi l’apporta tout humide et la lut à haute voix de bout en bout. Marguerite en fut transportée ; elle sauta au cou de son cher avocat et l’embrassa sur les deux joues, puis elle lui tourna le dos, s’installa devant la table, et, comme refroidie par cette explosion, elle se mit à feuilleter l’épreuve et à revoir les passages importants sans remarquer le trouble de Mainfroi. Quant à lui, il avait la tête un peu perdue ; la joie et l’étonnement le faisaient vaciller sur ses jambes ; son esprit courait à mille lieues du procès ; il commençait à se demander s’il ne jouait pas le rôle d’un séminariste et d’un sot. Au fort de ses perplexités, il aperçut le cou de Marguerite, très— allongé, très-souple et d’une blancheur éclatante, ou tranchaient cinq ou six boucles de petits cheveux noirs. La nuque d’une jolie femme a des séductions que le vulgaire ne soupçonne pas, mais qui ravissent en extase les dilettanti de l’amour. Mainfroi s’approcha lentement, comme attiré par une fascination irrésistible, et sa bouche contre-signa l’hommage de ses yeux.

Mme de Montbriand bondit et se retourna vers lui tout d’une pièce, le visage en feu, le regard flamboyant, la lèvre frémissante : « Oh dit-elle.

— Chère madame, répondit-il avec un sourire avantageux, je ne vous rends que la moitié de ce que vous m’avez donné tout à l’heure. »

Elle ne comprit pas d’abord, et tandis que son esprit cherchait, ses yeux fixes gardaient leur expression hagarde. Lorsqu’elle eut trouvé le mot de l’énigme, elle reprit vivement :

« Non cela n’est pas la même chose. Ce que j’ai fait, je l’aurais fait devant mille personnes, et vous, m’auriez-vous traitée de la sorte, si seulement Polyxénie avait été là ? »

Il protesta de son respect et de son obéissance, se confondit en humbles excuses, et revint, par un détour habile, mais connu, à réclamer du bon vouloir de Marguerite ce qu’il avait obtenu par surprise.

La belle veuve (de sa vie elle n’avait été si belle), se recueillit une minute et répondit :

« Monsieur Mainfroi, si vous me demandiez la permission de m’embrasser, je n’aurais peut-être pas le courage de vous répondre non ; mais j’estime que vous feriez mieux de ne me demander rien. »

Mainfroi mit un genou en terre et dit : « Revoyons notre épreuve. »

Ils travaillèrent ce jour-là comme deux hommes, et se quittèrent sans avoir parlé d’autre chose que du procès. Seulement, à la dernière