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échangent pendant deux actes entiers et qui font ressembler la pièce à un roman par lettres. A la mère qui hait et sacrifie sa fille, il oppose la comtesse de Villers, la mère modèle, amie et confidente de la sienne, qu’elle élève dans le culte du sentiment, et à qui elle laisse choisir pour mari un peintre (la vogue est cette année aux arts du dessin), jeune homme sans fortune, mais qu’on nous donne pour le plus accompli des épouseurs. Ces rapprochemens servent à remplir tant bien que mal le vide de la pièce. On connaît le style de M. Laya, ce dialogue pompeux et peu correct, étincelant de grâces fanées, tout cousu d’élégances qu’on dirait empruntées aux premiers-Paris des feuilles politiques ou aux morceaux d’éloquence d’un président de concours régional.

La haine de la mère pour sa fille est le grand ressort inventé par M. Léon Laya. Il a ramassé toutes ses forces pour donner le jour au plus terrible dragon en jupes qui jamais ait fait frissonner de peur la perruque d’un mari. Mme Desroches n’est pas seulement une maîtresse femme, capable d’en remontrer à un agent de change en matière de bourse, à un avoué pour la procédure, à un notaire pour les questions d’intérêt, qui sait mieux qu’un avocat ce que c’est que préciput et paraphernaux; c’est une sœur ou tout au moins une cousine germaine du père Grandet et de maître Guérin, avec ce qu’un tempérament de cette espèce a de particulièrement désagréable et repoussant dans une femme. Il faut que tout plie quand elle parle, et elle parle toujours. Sa place n’est pas chez un honnête homme de banquier trop heureux d’obéir pour avoir la paix, elle serait plutôt dans une cage de lions; Mme Desroches a l’œil, la voix et sans doute aussi le poignet d’un dompteur. Elle aime la domination, elle aime aussi l’argent; c’est pourquoi elle ne peut souffrir sa fille. Louise Desroches a le malheur d’avoir en propre deux cent mille francs qu’une tante lui a légués; c’est assez pour que sa mère se considère comme spoliée, et depuis ce moment la traite en ennemie; elle la poursuit de ses défiances et l’accable de ses duretés. A la première offre de mariage, Mme Desroches ne voit que l’occasion de se débarrasser de sa fille, et cela sans dot, car elle a soin de lui faire constituer une somme de 500,000 francs par préciput. La résistance prévue éclate en effet; on peut imaginer les fureurs du molosse conjugal dont je viens de tracer une faible esquisse; les oreilles me résonnent encore de ses aboiemens.

Cette résistance amène cependant une scène dramatique qui a sauvé la pièce d’une chute immédiate. Il y a dans le monde un homme dont la tendre affection est la force et la joie de Louise Desroches : c’est son parrain, le cousin de sa mère, un contre-amiral déjà d’un certain âge, mais environné par ses voyages lointains et ses longues absences de cette auréole poétique qu’une jeune fille rêve volontiers dans un mari. C’est vers lui que se tourne la pensée de Louise quand elle aurait besoin de protection. Il lui a donné un carnet, qui ferme à clé, où elle dépose