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dernes. Les Grecs de l’ancien temps ne virent l’Afrique qu’à travers un voile de fables et de légendes. Hérodote connut assez bien l’Egypte, et parle même en termes véridiques d’une contrée plus éloignée vers le sud que l’on appelait alors l’Ethiopie. Les vaisseaux carthaginois s’engagèrent dans l’Atlantique, et poussèrent au loin des reconnaissances. A l’est aussi, des expéditions maritimes firent découvrir les côtes du Golfe-Arabique et de la Mer-Érythrée; mais le commerce, qui était le mobile de ces entreprises, n’opérait que sur mer, toujours sur mer. Les Grecs, établis à Cyrène, les Romains, maîtres pendant des siècles de tout le littoral de la Méditerranée, se trouvèrent incapables de dépasser les premières oasis du Sahara. Ils possédèrent peut-être des notions plus exactes sur la vallée supérieure du Nil. Ptolémée, qui vivait au IIe siècle après Jésus-Christ, parle de grands lacs d’où le Nil sortirait vers l’équateur et de hautes chaînes de montagnes, les montagnes de la Lune, qui, sur la foi de cet écrivain, n’ont cessé depuis lors de figurer sur les cartes, bien qu’elles n’aient été vues que de nos jours. En somme, les anciens ne connurent de l’Afrique que le littoral et la vallée du Nil; du Soudan, des contrées centrales que nous connaissons à peine nous-mêmes, ils ne savaient rien. Le Sahara leur semblait un obstacle insurmontable : c’était la deserta siti regio, bonne tout au plus à servir de refuge à quelques Garamantes fantastiques.

Bien des siècles s’écoulèrent sans faire avancer d’un pas la géographie africaine. A la suite des voyages de circumnavigation du moyen âge, il s’établit sur les côtes, de préférence à l’embouchure des grandes rivières, des comptoirs européens dont les habitans, poussés par la curiosité ou par l’appât du gain, s’avançaient parfois à quelques journées de marche de l’Océan; le centre restait inconnu. Il n’était pas question, tant s’en faut, de traverser l’Afrique d’une mer à l’autre, car un tel voyage s’offrait sous un aspect effrayant. L’étroite lisière que les Européens avaient parcourue ne présentait que des déserts desséchés par le soleil ou des marais insalubres. Un climat meurtrier, des forêts hantées par les bêtes féroces et des villages occupés par des peuplades barbares, il n’y avait là rien d’encourageant. Comme si cette partie du globe eût été vouée fatalement à la stérilité, nul auteur n’imagina jamais d’y placer la scène des voyages de fantaisie dont, à défaut de récits plus réels, nos pères faisaient leurs délices. C’est sur un théâtre plus riant et plus propice, sur les côtes de l’Asie et de l’Amérique ou dans les îles fortunées du Pacifique, que les Robinson et les Gulliver vont courir leurs attrayantes aventures. Tout au plus l’Afrique apparaît-elle dans les contes arabes des Mille et une Nuits, et c’est alors sous l’aspect morne et désolé que la légende impose aux sa-