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aux environs du 4e degré de latitude et près du point où la navigation du fleuve est interrompue de nouveau par les rapides, une sorte de ville ou d’entrepôt qu’ils nomment Gondokoro; ils y vont chaque année, durant la saison sèche, se livrer aux opérations de leur commerce avec les naturels. Une mission catholique autrichienne s’était même établie en ce lieu peu de temps après l’expédition égyptienne de 1840, qui pénétra la première dans cette région éloignée; cette mission ne vécut que jusqu’en 1860. Bien que le climat fût des plus malsains et que nombre de prêtres y aient succombé, la maladie ne fut pas l’obstacle principal qu’y rencontra la propagande chrétienne. Placés aux confins de la terre civilisée, entre des blancs rapaces et des tribus noires exploitées par eux, témoins journaliers d’un hideux commerce qu’ils réprouvaient, les missionnaires prêchaient des doctrines que ni les bourreaux ni les victimes ne trouvaient à leur convenance. Le mahométisme, religion de sensualisme grossier et de morale soldatesque, s’adapte mieux aux instincts brutaux d’une telle population.

A. Gondokoro, à plus de 3,000 kilomètres de la Méditerranée, le Nil est déjà un large et imposant cours d’eau que l’on est tenté de croire bien éloigné de son origine. Ce qui se trouve au-delà de ce point, nous le savons par les explorations récentes de Speke, de Grant et de Baker, dont les noms et les aventures ont acquis une juste célébrité. Les savans qui suivent avec assiduité les progrès de la géographie de l’Afrique conseillaient depuis longtemps aux voyageurs de renoncer à la voie de Khartoum et de Gondokoro et d’aller prendre le Nil à revers par la côte de Zanguebar. Quel succès ont eu les brillantes et fructueuses entreprises conçues sur ce nouveau plan, personne ne l’ignore. Deux grands lacs, le Louta-Nzighé et le Nyanza, ont pris place sur la carte, au milieu d’un haut plateau médiocrement ondulé. Les sources du Nil ont été reculées jusqu’au 4e degré de latitude sud, ce qui attribue au bassin du fleuve une surface bien plus étendue qu’on ne l’eût supposé; mais on n’a pas trouvé là les grandes montagnes qu’on se fût attendu à y voir, si ce n’est à l’est, entre le fleuve et le littoral de l’Océan-Indien, où deux pics, le Kénia et le Kilimandjaro, dressent tout près de l’équateur et dans le prolongement des chaînes de l’Abyssinie leurs têtes recouvertes de neiges perpétuelles.

Il est possible maintenant d’envisager le bassin du Nil dans son ensemble. En aval de Khartoum, la vallée est sèche, sans pluie, sans sources, sans autre eau que celle du fleuve, qui fort heureusement déborde chaque année. Vers cette latitude commencent les pluies tropicales, qui deviennent de plus en plus fortes et régulières à mesure que l’on approche de l’équateur. Dans la Haute-Nubie,