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commis. Ils se refusèrent, chose plus grave, à valider les dépenses occasionnées dans le cours de l’année précédente par les fortifications du littoral, non qu’ils en méconnussent l’avantage, mais parce qu’elles n’avaient été précédées d’aucun vote approbatif, et, jalouse de reprendre d’un seul coup l’usage de toutes ses prérogatives, l’assemblée rejeta les allocations ordonnancées pour les garnisons qui ne figuraient pas dans l’effectif militaire soumis aux états dans la tenue de 1713[1].

Une attitude si nouvelle fut, pour les fonctionnaires siégeant à Saint-Brieuc en qualité de commissaires du roi, le sujet du plus grand étonnement. Sous le gouvernement nominal du comte de Toulouse, le maréchal de Châteaurenaud commandait depuis 1705 la province, où sa belle carrière maritime lui avait concilié l’estime générale. Aussi, dans sa correspondance avec les ministres du régent et avec ce prince lui-même, Châteaurenaud fait-il des efforts constans pour expliquer dans le sens le moins défavorable à la Bretagne ce qu’il appelle « le ton décidément négatif de l’assemblée. » Il demande à la cour qu’elle veuille bien faire toutes les concessions jugées possibles, en lui traçant la limite au-delà de laquelle on ne devra plus rien laisser espérer, et s’efforce d’excuser « la méchante humeur de messieurs des états, placés dans la plus triste des situations, puisqu’il leur faudra faire face à 9 millions de dépenses avec moins de 5 millions de recettes assurées[2]. »

L’intendant Ferrand se montre de moins bonne composition. A chaque page de sa correspondance se révèle l’antipathie qu’éprouvaient pour les franchises locales les représentans de cette administration centralisée inspirée par la même pensée depuis Louis XIV jusqu’à Napoléon. M. Ferrand s’indigne du réveil si imprévu de l’opinion, et taxe de témérité non pas seulement le refus d’obéissance aux prescriptions de la cour, mais encore le délai réclamé par les états afin d’y déférer. Il demande que les ordres envoyés aux commissaires du roi soient si formels que l’assemblée ne puisse refuser de les accomplir sans s’exposer à être considérée comme « dominée par l’esprit de révolte contre l’autorité royale; » d’ailleurs, dans l’opinion de l’intendant, cette autorité diminue de jour en jour au sein des états, et « le mieux de toute manière serait de les finir le plus vite possible[3]. » La colère de M. Ferrand fut grande lorsque les états eurent pris la résolution de s’ajourner de

  1. Registre des états, séances des 23 et 27 décembre 1715.
  2. Lettres du maréchal de Châteaurenaud, de MM. Ferrand, intendant de Bretagne, et de Montaran, trésorier des états, au marquis de La Vrillière et au duc de Noailles, président du conseil des finances, décembre 1713 et janvier 1716. — Archives de l’empire, cartons de Bretagne, 221
  3. Lettre de M. Ferrand au duc de Noailles, 24 décembre 1715.