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l’éclat de sa naissance, il eut toutes les susceptibilités d’un parvenu, et n’admit jamais chez les autres, ce qui est le propre des natures inférieures, ni la loyauté ni le désintéressement des convictions. Ce soldat gascon ne croyait qu’à la force et à la ruse, et jamais dispositions d’esprit ne furent plus antipathiques à celles du peuple qu’il reçut la charge périlleuse de gouverner. Arrivé dans la province au commencement de 1717, M. de Montesquiou commence par se faire une querelle avec la municipalité de Nantes lors de son entrée dans cette ville. Il refuse les clés qui lui sont présentées par le corps municipal avec l’appareil ordinaire, parce que ces clés ne lui ont pas été offertes dans un bassin d’argent, avantage dont avaient joui, prétend-il, tous ses prédécesseurs[1]. A peine installé en Bretagne, et sans avoir pris la peine d’en étudier les institutions ni les mœurs, il adresse au régent des lettres qu’on dirait écrites par un colonel de gendarmerie en tournée d’inspection. Sa première dépêche, dans laquelle il s’efforce de juger la situation de la province, où les séances des états de Saint-Brieuc venaient d’avoir un profond retentissement, se résume dans ces paroles : « Ici il faut surtout montrer de la sévérité, et, quoique la noblesse ait certainement besoin de grands soulagemens, il n’en faut rien laisser percer. » Le maréchal ajoute qu’il fait d’ailleurs une étude particulière d’insinuer à cette noblesse de bons sentimens « par la grande dépense qu’il fait et qui est fort nécessaire, ce en quoi il supplie sa majesté de l’aider. » Indépendamment du soin qu’il prend pour relever par une bonne table le prestige de l’autorité royale, M. de Montesquiou ne néglige pas un moyen plus efficace, et demande qu’on lui remette des fonds secrets « afin de gagner les mutins[2]. » Une lettre du même jour adressée au comte de Toulouse révèle d’une manière plus éclatante encore la politique que se proposait de suivre ce troupier de bonne maison. Il exprime au prince son plus vif regret du bon traitement que reçoit à la Bastille le chevalier de Quéréon, arrêté quelques semaines auparavant à Rennes pour mauvais propos tenus contre le gouvernement du régent. M. de Quéréon commet le crime de se plaire dans cette forteresse,

  1. En marge du registre municipal de Nantes qui rend compte de cette solennité à la date du 5 juin 1717, on lit ces mots : « Clefs présentées et refusées, sous prétexte qu’on ne les a pas présentées à la porte de la ville; mais on s’est bien aperçu que c’était seulement en vue de profiter du bassin d’argent dans lequel on les aurait présentées. Au moins a-t-on assuré qu’on en a usé de même à Rennes, où la communauté a été obligée de racheter le bassin du capitaine des gardes moyennant 250 livres, afin de le rendre à ceux à qui on l’avait emprunté. »
  2. Voyez la lettre du maréchal de Montesquiou au régent, du 5 mai 1717, dans le Journal historique de ce qui s’est passé en Bretagne pendant les premières années de l’administration du duc d’Orléans, par le président de Robien. — Manuscrit de la bibliothèque de Rennes, c. 1545.