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ment de 1718, bien avant l’organisation du complot dont MM. de Lambilly, de Noyant et de Talhouët-Bonamour furent les premiers instigateurs, que le chevalier du Groesquer aurait dit dans un repas auquel assistaient à Paris un grand nombre de mécontens que « le moment était venu d’ôter la régence au duc d’Orléans, ajoutant que, si le duc du Maine voulait se mettre à leur tête, il se faisait fort de trouver sept autres provinces avec la sienne toutes prêtes à se soulever. »

Cependant le maréchal de Montesquiou s’occupait à Rennes de faire le meilleur emploi possible des nombreuses lettres de cachet que lui avait expédiées en blanc le secrétaire d’état de La Vrillière[1]. Les deux premières atteignirent M. de Lambilly, conseiller au parlement, et le président de Rochefort. A une imagination ardente, qui lui présentait comme facile l’accomplissement des projets les plus aventureux, M. de Lambilly joignait un vrai tempérament de conspirateur. Ancien page de Louis XIV, il avait porté l’épée avant de prendre la toge, et réunissait l’audace d’un mousquetaire à l’énergie du magistrat. M. de Lambilly fut la bête noire du maréchal dès l’arrivée de ce dernier en Bretagne. A chaque page de sa correspondance, M. de Montesquiou le signale aux ministres comme un boute-feu très puissant dans sa compagnie par son activité, et demande en conséquence que ce conseiller reçoive, indépendamment d’un ordre d’exil, celui d’avoir à se défaire de sa charge. Sous des formes différentes, M. de Rochefort était un ennemi non moins redoutable, car il s’en prenait à la personne du commandant, tandis que M. de Lambilly attaquait sa conduite politique. Jeune, brillant et riche, le président de Rochefort avait la meilleure maison de Rennes, et de cette citadelle partaient chaque jour des traits meurtriers. La société bretonne se complaisait alors dans l’évocation de tous les souvenirs de la fronde, et, quoique le maréchal de Montesquiou n’eût pas à craindre de se voir, comme Louis XIV, chassé de sa capitale, où le gardaient deux régimens entrés en violation des privilèges de la ville, le malheureux commandant s’y trouvait soumis à un blocus tellement rigoureux que les lettres où il en expose les incidens provoquent à la fois le sourire et la pitié. On s’était engagé d’honneur à ne point paraître chez lui, ce qui, disait-il, allait directement contre l’autorité. Peu sensible aux plaisirs du monde, Montesquiou, c’est une justice à lui rendre, souffre encore plus de cet isolement pour ses fonctions que pour lui-même. Aussi quel soin ne prend-il pas pour faire renvoyer par ordre ministériel à leurs régimens tous les offi-

  1. En vertu de ces lettres, les exilés devaient se rendre dans les villes de Guise en Picardie, Briançon, Digne, Fréjus, Collioure, Saint-Flour, Rhodez, Rocroi et Salins.