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étrennes. La poésie populaire a rempli cette lacune : elle attribue, avec toute vraisemblance d’ailleurs, l’arrestation de M. de Pontcallec à une dénonciation intéressée.


« On a beau le chercher, on ne le trouve pas. — Un gueux de la ville qui mendiait son pain est celui qui l’a trahi. — Un paysan ne l’aurait pas trahi quand on lui eût offert cinq cents écus ! — C’était la fête de Notre-Dame des Moissons[1], jour pour jour; les dragons étaient en campagne. — « Dites-moi, dragons, n’êtes-vous pas en quête du marquis? — Nous sommes en quête du marquis; sais-tu comme il est vêtu? — Il est vêtu à la mode de la campagne : surtout bleu orné de broderies, — Soubreveste bleue et pourpoint blanc, guêtres de cuir et braies de toile, — Petit chapeau de paille tissu de fil rouge, sur ses épaules de longs cheveux noirs, — Ceinture de cuir, avec deux pistolets espagnols à deux coups. — Ses habits sont de grosse étoffe, mais dessous il en a de dorés. — Si vous voulez me donner trois écus, je vous le ferai trouver. — Nous ne te donnerons pas même trois sous ; des coups de sabre, c’est différent. — Nous ne te donnerons pas même trois sous, et tu nous feras trouver Pontcallec. — Chers dragons, au nom de Dieu, ne me faites point de mal. — Ne me faites point de mal! je vais vous mettre tout de suite sur ses traces. Il est là-bas, dans la salle du presbytère, à table, avec le recteur de Lignol. »


Pontcallec fut incarcéré au château de Nantes le 2 janvier 1720; après son arrivée, l’instruction prit une activité nouvelle. Instituée par lettres patentes du 3 octobre 1719, cette chambre criminelle avait été créée afin de rassurer l’opinion, qu’alarmaient au début d’une guerre contre Philippe V les bruits répandus sur l’état de la Bretagne, et l’érection en fut antérieure de près d’un mois à l’arrestation de la plupart des prévenus. Revêtir de formes légales des arrêts dictés d’avance, telle fut dans tous les temps l’œuvre de ces commissions, dont l’odieux souvenir aurait flétri l’honneur de la magistrature française, si ses membres n’étaient le plus souvent demeurés étrangers à la formation de ces tribunaux politiques. La chambre criminelle de Nantes fut composée par le garde des sceaux d’Argenson de quatorze maîtres des requêtes de l’hôtel, présidés par un conseiller d’état, personnel purement administratif appelé à s’écouler pour la plus grande partie dans le service des intendances. Cette chambre s’ouvrit le 29 octobre avec un grand appareil dans

  1. L’arrestation de M. de Pontcallec a une date certaine incompatible avec celle que lui assigne le barde breton. Cette erreur n’est pas la seule qu’il commette, car il attribue vingt-deux ans à un homme qui en avait quarante, et le fait arrêter dans la salle à manger, lorsqu’il fut saisi dans son lit. —-Chants populaires de la Bretagne, par M. de La Villemarqué, t. II, p. 150.