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les quatre-vingt-dix-sept autres détenus après plus ample informé, dans un délai de trois mois.

Remis aux mains de quatre moines mandés d’un couvent voisin, les condamnés furent conduits dans la chapelle du château, et consacrèrent au règlement des affaires de leur conscience et à celui de leurs intérêts domestiques le peu d’heures qui les séparaient encore de l’instant fatal. Avertie de ce qui se préparait par un vaste déploiement de forces militaires, la population nantaise insulta par ses cris les commissaires qui allaient faire couler le plus vieux sang de l’Armorique. La noblesse quitta la ville; le peuple suivit jusqu’au lieu du supplice, en faisant éclater sa profonde douleur, des hommes protégés aux yeux de la Bretagne par la sainteté d’une cause qu’ils compromirent gravement sans doute, mais qu’ils avaient d’abord espéré servir. De nuit, à la lueur des flambeaux, au milieu d’une cité en deuil et en prières, les condamnés franchirent d’un pas ferme le chemin de la prison à l’échafaud; leurs têtes tombèrent, non sans peine sous la main d’exécuteurs ou novices ou tremblans, et leur vie, jusqu’alors obscure, fut tout à coup transfigurée par leur mort.

Ce rapide exposé, écrit sur des documens authentiques, permet de juger la valeur de la conspiration bretonne; il déterminera tous les bons esprits à concéder aux coupables le bénéfice des circonstances atténuantes, en leur refusant les hommages réclamés pour eux par d’honorables écrivains incomplètement renseignés. Il est un côté de cette affaire qui n’a jamais été mis en relief, c’est le tort immense que ce triste épisode fit dans tout le royaume à la cause des libertés provinciales. En présence d’un complot qui permettait de mettre en suspicion leur dévouement à la royauté, les états de Bretagne rentrèrent dans une silencieuse dépendance, et la noblesse se montra plus occupée d’effacer à Versailles des impressions fâcheuses que de suivre le sillon tracé par l’assemblée de Dinan. Le despotisme profita des craintes qu’inspire toujours aux gens timides la revendication bruyante de la liberté. Durant plus de quinze ans, à la suite de la crise de 1720, la vie politique fut à peu près interrompue en Bretagne, et M. d’Argenson obtint de cette immolation juridique tout le fruit qu’il en avait attendu.


L. DE CARNE.