Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 73.djvu/44

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une querelle d’Allemand, que sais-je ? Je ne veux rien entendre de tout cela. Quoi qu’on ait pu dire, inventer, machiner contre moi, taisez-vous ; cachez-moi toutes ces infamies, je ne me défendrai pas. Grâce à Dieu, je n’ai point d’amour pour vous ; je n’en aurai jamais pour personne ; je quitterai bientôt Grenoble, j’irai cacher ma vie à Vaulignon ; vous n’entendrez plus parler de moi. Restons donc comme nous sommes, amis, vieux et tendres amis ; ne gâtons pas le souvenir de tant d’heures charmantes. Séparons-nous comme il convient à deux âmes de condition dont l’une sera toujours la très-fidèle vassale de l’autre. Vous êtes le bienfaiteur et je suis l’obligée ; ne me défendez pas d’aimer ma reconnaissance et de la choyer toute la vie au plus profond de mon cœur !

— O femmes ! répondit tristement Mainfroi, toutes les mêmes ! Infaillibles dans l’erreur et douées d’une perspicacité admirable pour voir le contraire du vrai ! Il s’agit bien de services et de reconnaissance ! Votre procès est perdu, et c’est moi qui vous le ferai perdre mercredi prochain, sans remise, en prouvant que vous avez tort. Voilà l’objet de mon travail et la cause unique de ma tristesse. Quant au reste, je vous jure que personne ne vous a calomniée devant moi, que je ne l’aurais pas souffert, et que tout l’univers, à commencer par moi, vous honore comme la plus admirable et la plus sainte des créatures, entendez-vous ?

— Pourquoi donc mon procès est-il perdu ?

— Parce que vous devez le perdre en droit.

— Et qui est-ce qui a fait cette belle découverte ?

— Moi et beaucoup d’autres.

— Quels autres ? Des femmes, n’est-ce pas ? Une, au moins ? Oh ! la piteuse et vilaine nouvelle I Je ne vous accuse pas, monsieur Mainfroi ; ce n’est pas vous qui avez conçu ce projet misérable. Vous êtes, sans le savoir, l’instrument de leur intrigue. On commence par séduire un honnête homme, et dès qu’on tient son cœur on a prise sur sa raison. Cette Bavaroise est hideuse… ce n’est pas elle ; c’est donc quelqu’un des siens… avouez !

— Mais je n’avoue rien du tout ! Mon cœur est aussi libre que le vôtre, et je proteste qu’il n’a pas même eu le mérite de la résistance ! Votre cause me paraissait bonne il y a quinze jours ; je l’ai plaidée avec conviction et je l’ai presque gagnée. Je reviens de Paris, je l’étudie sur nouveaux frais, je m’aperçois que nous nous sommes trompés, et je me mets en mesure de réparer mon erreur, quoi qu’il m’en coûte.

— En vérité ? cela vous coûte tant ? Eh ! monsieur, si vous étiez seulement mon ami, vous n’examineriez pas si ma cause est plus ou moins juste. C’est le premier principe de l’amitié, cela, donner raison à ceux qu’on aime, quand même ils auraient mille torts ! J’ai raison, vous