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leurs bras noircis, semblables à des potences funèbres. Ce champ de destruction, au milieu de la splendeur et du printemps éternel des forêts vierges, offre le plus pénible contraste et serre le cœur. C’est entre les arbres carbonisés que le cultivateur plante le maïs, le haricot ou le manioc. Au bout de deux ou trois récoltes, le produit devient insuffisant. Le champ est abandonné. Un nouveau taillis y repousse, mais moins vigoureux que le premier et composé d’essences différentes. Après sept ans, on le coupe et on le brûle. Les cendres cette fois ne suffisent plus qu’à une seule récolte. Après que cette opération a été répétée à plusieurs reprises, les broussailles, devenues de plus en plus rabougries, sont envahies par une fougère du genre pteris, à laquelle succède une graminée grisâtre, visqueuse, fétide, le capim gordura, qui par son aspect repoussant semble trahir l’épuisement complet du sol. La terre alors est considérée comme perdue pour toujours. Le caféier, le cotonnier, la canne à sucre, épuisent aussi rapidement la force végétative, et il faut sans cesse conquérir des terres vierges aux dépens des forêts. Cela peut sembler assez indifférent dans un pays qui possède encore plus de 150,000 lieues carrées de forêts inexploitées et même inexplorées, et pourtant les conséquences en sont désastreuses. Déjà dans la province de Rio-Janeiro non-seulement le bois à brûler devient rare et cher, mais le bois de construction est importé de la Norvège. Dans la province de Minas-Geraes, les mines de fer sont abandonnées faute de combustible, et c’est à peine si l’on peut se procurer encore le bois nécessaire pour soutenir les galeries des quelques mines d’or qui ne s’exploitent pas à ciel ouvert. Des arbres magnifiques croissent à peu de distance, mais il n’existe pas de bonnes routes, et les frais rendent les transports inabordables. Une autre conséquence de la raub-cultur plus désastreuse encore que la rareté du bois, c’est la dispersion des familles et des exploitations, qui empêche les communications suivies de s’établir et forme ainsi un très grand obstacle au progrès de la civilisation. Dans l’Amérique du Nord, le squatter commence aussi par brûler la forêt; mais peu à peu il enlève les troncs restés debout, et il soumet la terre à une culture régulière. Les exploitations se joignent, le village se constitue; au centre s’établissent l’école, l’église, la banque et l’imprimerie. C’est une alvéole de plus dans la ruche immense et sans cesse grandissante. Ainsi le flot de la civilisation s’avance constamment vers l’ouest sans perdre jamais ce qui a été une fois conquis.

La Novara va maintenant nous transporter dans une région dont la population a plus d’un rapport avec celle de l’Amérique du Nord, au cap de Bonne-Espérance. Découverte en l486 par le Portugais