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taines cessent de couler, et la végétation, brûlée par le soleil, disparaît presque entièrement. Dans ces cas extrêmes, l’éleveur est réduit à faire abattre une partie de son troupeau pour vendre au moins le suif qu’il peut en tirer. La laine d’Australie est fine, longue, et se file parfaitement. L’Angleterre seule en importe annuellement près de 50 millions de kilos, et les fabriques de draps de France, de Belgique et même d’Allemagne en consomment des quantités importantes[1]. Il est certain que cette importation ira croissant régulièrement et rapidement. Avant dix ans, l’Australie aura 60 millions de moutons, c’est-à-dire autant que à France et l’Angleterre réunies. La laine d’Europe, qui est produite chèrement, ne pourra évidemment pas soutenir la concurrence de celle qui est obtenue à nos antipodes presque sans frais. La conclusion très importante qu’il faut tirer de ce fait, c’est que l’agriculture européenne doit remplacer promptement, comme l’a fait déjà l’Angleterre, le mouton à laine par le mouton de boucherie. Le pays de notre continent qui pouvait le mieux lutter contre l’Australie, c’était la Hongrie, et déjà pourtant la vente des toisons y est rendue difficile par la concurrence des laines transocéaniques. Il n’y a donc pas de temps à perdre, car, pour transformer une race d’animaux domestiques dans tout un pays, il faut bien des années. Les grandes révolutions économiques qu’amène le développement des nouveaux centres de production ne seraient que bienfaisantes, si on savait les prévoir. Elles n’auraient en effet d’autre résultat que la satisfaction plus complète des besoins de l’humanité; mais, quand on s’obstine à fermer les yeux sur l’avenir, elles frappent durement ceux qui sont atteints à l’improviste.

La croissance de toutes ces colonies a quelque chose de vertigineux. Queensland, au nord de Sidney, avec sa capitale Brisbane, ne se trouve pas encore indiquée dans les cartes datant de quelques années, et déjà on y compte 88,000 habitans possédant 6 millions de moutons, 900,000 bêtes à cornes, 46,000 chevaux. Le mouvement commercial s’est élevé en 1865 à 92 millions de francs. Se figure-t-on le degré de richesse que ces chiffres représentent? Ils signifient qu’en moyenne il y a par famille 2 chevaux, 45 bêtes à cornes, 300 moutons et une somme de 4,600 francs d’exportations et d’importations. La différence entre la condition

  1. L’importation des laines transocéaniques augmente chaque année. Depuis dix ans, elle a doublé en Angleterre. En 1865, elle s’est élevée à 100 millions de kilos. En France comme en Allemagne, elle dépasse 20 millions de kilos. M. von Scherzer porte le nombre total des moutons en Europe à 224 millions. On estime que la production totale de la laine dans le monde entier monte à environ 800 millions de kilos. La consommation des étoffes de laine augmente rapidement et s’introduit même dans l’extrême Orient. L’industrie qui les fabrique a un grand avenir.