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La Novara n’eut qu’une seule fois l’occasion de saluer le drapeau français. Elle le trouva flottant sur l’île de Tahiti, qu’il couvre de sa protection. Que d’idées gracieuses ne réveille point le nom de cette île, dont la description poétique, due à Bougainville, avait fait accepter comme un dogme de foi par les écrivains du XVIIIe siècle le système du bonheur complet de l’homme primitif. Hélas ! Tahiti ne présenta plus aux yeux des navigateurs autrichiens le tableau enchanteur de l’âge d’or. La reine Pomaré a vieilli, et son peuple diminue chaque année. Il est sorti de la sauvagerie, il n’est pas arrivé à la civilisation. Le commerce aussi décline. Autrefois 60 ou 80 baleiniers visitaient le port de Papeete; aujourd’hui il n’en vient plus que 5 ou 6. Les règlemens douaniers et des taxes multipliées ont mis en fuite les Américains, qui relâchent maintenant aux Sandwich. Tahiti avait un gouvernement constitutionnel et une chambre élective; mais, le régime parlementaire n’étant guère en faveur en France, comment l’aurait-on respecté dans cette île de l’Océan-Pacifique? Le gouverneur venait de suspendre les travaux du parlement tahitien par une ordonnance que M. von Scherzer a cru devoir recueillir comme une des curiosités de son voyage[1]. Les missionnaires protestans avaient établi des écoles et une imprimerie pour les besoins de la population, qui appartenait presque entièrement à leur culte : on avait fermé les unes et supprimé l’autre pour laisser le champ libre à l’évêque catholique. Quand la politique chôme et que les écoles sont closes, il faut bien que le peuple s’amuse. Aussi venait-on d’inaugurer un pré Catelan : les danseuses de la nouvelle Cythère s’y livraient à des danses où les pas hardis du bal Mabille se combinaient avec les poses voluptueuses des anciennes rondes nationales; l’effet ne laissait pas d’en être très piquant. La commission autrichienne pouvait se croire transportée à Vienne sous le régime paternel de M. de Metternich. Point de parlement ni de journaux, mais des plaisirs faciles à souhait. Tahiti est le seul point sur lequel le livre de M. von Scherzer

  1. Voici cette pièce remarquable à plus d’un titre :
    « Sa majesté la reine des îles de la Société et son excellence le gouverneur des possessions françaises dans l’Océanie :
    « Considérant qu’il n’y a pas de projets de loi préparés pour être soumis à la législature de 1859, et que d’ailleurs cette assemblée n’a pas de budget à voter;
    « Prenant en considération les frais considérables que le séjour à Papeete occasionne aux membres de ladite assemblée pendant la durée des sessions;
    « Vu l’article 7 de l’ordonnance du 7 avril 1847, décident : l’assemblée législative des états du protectorat ne sera pas convoquée en session pendant l’année 1859.
    « Signé : Saisset. « 
    M. Saisset était du reste plus tolérant en matière religieuse que son prédécesseur. Il avait permis à un ministre anglican de résider dans l’île et même de prêcher le dimanche, à la condition toutefois que ce fût en anglais.