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de redresser, de perfectionner le mécanisme de la voix, mais de former son élève au style, à l’intelligence du beau musical et dramatique, Mlle Patti n’avait-elle pas autour d’elle des traditions toutes vivantes? Ainsi, pour le quatuor de Rigoletto, le pathétique, le sublime accent de la phrase, la Frezzolini eût été bonne à consulter; de même, pour les Puri- tains comme pour Ernani, on eût tiré tout bénéfice des indications d’une Grisi ou d’une Cruvelli. Au lieu de cela, que voyons-nous? Une sorte de lanterne magique où, de semaine en semaine, les figures se succèdent. On s’attendait à trois ou quatre créations de nature à classer enfin parmi les artistes d’ordre supérieur un talent aimable et distingué, ayant jusqu’ici relevé surtout de la mode, et nous assistons à des exercices tels qu’en offrent journellement les cantatrices de province qui pointent dans leur gosier du Meyerbeer et du Rossini à la place d’un rôle de Boïeldieu ou d’Auber, et chantent Valentine ou Mathilde après avoir chanté la veille la Dame blanche ou l’Angèle du Domino noir. Je ne sais ce que Jeanne Darc et la Semiramide nous promettent; mais il n’est pas un ami sincère du talent de Mlle Patti qui, après son double échec dans les Puritains et dans Ernani, ne soit tenu de prémunir l’intéressante virtuose contre d’aventureux essais où l’expérience désormais lui conseille de ne se risquer qu’avec la plus grande réserve. Il semble du reste que le règne des étoiles ait fait son temps. Le nom de la diva sur l’affiche ne suffit plus à remplir tous les soirs la salle jusqu’aux combles, et, comme un pareil système n’a son excuse que dans les grosses recettes qu’il procure, force avant peu sera au Théâtre-Italien de laisser son étoile filer et de la remplacer par une troupe dont on entrevoit déjà les élémens, mais qui ne se formera, ne prendra de cohésion que sous un nouveau régime. Ces personnalités dont le public s’affole sont la ruine d’une administration : l’illusion dure ce qu’elle peut; mais tôt ou tard il faut qu’on en revienne, et ce n’est point seulement l’art que ces frivoles dominations tuent en attirant tout à elles, c’est aussi l’entreprise elle-même, qui, d’abord abusée par l’affluence et les démonstrations tapageuses de la galerie, voit bientôt à des soirées d’éclat succéder des lendemains sinistres, à des salles pleines, des salles vides, car l’étoile règne seule; en dehors d’elle, nul attrait, et tel sujet qui, en des circonstances ordinaires, tiendrait sa place et même prévaudrait, s’efface et tombe en discrédit par le découragement où’ le plonge cette idée, que le public, tout entier au mirage, ne lui saura gré d’aucun effort. On se dit : administrer, gouverner avec un nom, rien de si simple, de si commode, plus d’équilibre à maintenir entre vingt prétentions qui se contrarient, plus de combinaisons de répertoire, un seul amour-propre à satisfaire, et nul embarras d’aucune espèce, aucuns détails matériels à surveiller. Il n’est point rare, par exemple, de lire dans les journaux : « Mlle Patti s’étant trouvée un peu fatiguée, on a dû répéter chez elle. » Pourquoi ne