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n’y met point de malice. S’il exclut l’une pour avoir l’autre, c’est faute de pouvoir les garder toutes, ce qui lui arriva pourtant dans la Fiancée du roi de Garbe, dont les huit pages, on s’en souvient, furent choisis parmi les plus jolies élèves du Conservatoire. Aimable histoire que celle de cet escadron volant, et qui, toute récente, a déjà sa mélancolie, car si quelques-uns de ces gentils varlets, Mlle Mauduit, Mlle Marie Roze, ont depuis gagné leurs éperons d’or, d’autres, pauvres fantômes, bien tristement ont disparu ! — Revenons à la distribution de l’opéra nouveau, et tâchons de nous y reconnaître. A Mme Mombelli succéda Mlle Brunet-Lafleur, ce fut l’éclair d’un moment. En moins d’une semaine, M. Auber avait encore changé d’avis et fixé son choix sur Mme Cabel, désormais en possession du rôle, dont on a modifié et mis à point la physionomie un peu trop svelte, à ce qu’il paraît, pour l’âge et les moyens de l’interprète actuelle. Qui ne goûte la circonstance que médiocrement, c’est l’auteur de Martha, M. de Flottow, venant ensuite avec sa partition de l’Ombre, avait demandé et naturellement obtenu Mme Cabel, et l’on devine s’il trouve aujourd’hui plaisant de voir la cantatrice qu’à tort ou à raison il considérait comme son meilleur atout passer dans le jeu de M. Auber. Sur ces entrefaites, Mlle Brunet-Lafleur a débuté dans le Domino noir. Une voix d’un beau timbre, de la flamme, de l’agilité et la plus complète inexpérience du théâtre, du genre surtout, voilà ce qu’a donné cette première soirée. Mlle Brunet-Lafleur chante la partie d’Angèle, mais ne joue pas le rôle. N’importe, l’actrice plus tard se dégagera; en attendant, on peut dire qu’il y a là l’étoffe d’un talent. Très correcte dans sa romance d’entrée, d’une crânerie à tout enlever dans l’Aragonaise, Mlle Brunet-Lafleur rend au cantique du troisième acte toute son élévation. Il n’est point mal que de jeunes artistes, après s’être embarqués pour l’Opéra, viennent ainsi de temps en temps échouer à l’Opéra-Comique. Cela hausse le ton, met en lumière des beautés d’ordre supérieur, qui trop souvent passent inaperçues. A la manière dont Mlle Brunel-Lafleur se meut dans cette petite musique, on sent qu’elle a pratiqué la grande. L’Angèle d’aujourd’hui, cet été, dans les exercices du Conservatoire, chantait Desdémona, et, chose toujours bonne à dire, cette ‘petite musique, ainsi rendue, n’en vaut que mieux. J’avais déjà fait cette remarque à Vienne, où les opéras-comiques de M. Auber figurent dans le répertoire de Kärtner-Thor, exécutés par le même admirable orchestre, par les mêmes chanteurs qui la veille ont exécuté Fidelio ou le Prophète. — Du reste les débuts, en ce moment, réussissent à l’Opéra-Comique; peu de jours auparavant, un autre élève du Conservatoire, M. Gaiihard, dans le Falstaff du Songe d’une nuit d’été, donnait pour l’avenir d’excellens gages.

J’ai connu jadis à Bade un Russe vingt ou trente fois millionnaire qui jouait pour perdre, assurant que c’était là une sensation très particulièrement intéressante, et qu’il fallait aussi avoir éprouvée. Le Théâtre-Lyrique a, ce semble, de ces fantaisies de boyard. On le voit journellement en-