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autant de désordre. Encore si ce n’étaient là que des embarras pour les politiques, il n’y aurait que demi-mal. C’est le métier des politiques d’avoir des embarras, et le métier des révolutions de leur en créer ; mais le vrai sujet d’étonnement, c’est que cette fois encore ce sont les peuples eux-mêmes qui n’ont pas tardé à souffrir de la revendication du droit faite en leur nom. A trente années d’intervalle, l’Europe voit reparaître dans son sein, dans son centre même, avec des traits aussi hideux que sous le premier empire, la plus odieuse des formes de la tyrannie, la plus douloureuse des variétés de l’oppression, la conquête ! Le Slesvig attaché de force à l’Allemagne, le Hanovre subissant l’occupation militaire en permanence, Francfort mis à rançon, voilà des forfaits tels que la génération postérieure à 1815 s’était flattée de n’en plus voir commettre et dont le droit nouveau est sinon coupable, au moins très directement complice ; s’il ne les a pas commis lui-même, il a au moins grandement contribué à les laisser consommer. Quoi donc ! la souveraineté populaire, après avoir, pour ses débuts, servi de marchepied à l’ambition de Bonaparte, va-t-elle se faire encore, aujourd’hui qu’elle est adulte et mûre, l’auxiliaire docile des convoitises de M. de Bismarck ! Cette récidive serait effrayante. Étrange principe en effet que celui qui ne pourrait prévaloir sans se contredire lui-même et s’anéantir, et qui, en commençant par promettre l’affranchissement aux hommes, finirait régulièrement par sceller d’un nouveau poids leur servitude ! Qui nous enseignera la cause de cette contradiction et le moyen d’échapper à ce péril ? A qui est la faute, au droit nouveau lui-même ou à ceux qui l’appliquent ? Pas plus à l’un qu’aux autres, suivant nous, mais à tous les deux en certaine mesure. L’explication est en effet plus naturelle qu’on ne pense ; elle réside tout entière non dans l’usage, mais dans l’abus, non dans l’application légitime, mais dans l’extension irréfléchie et immodérée des principes de la révolution française. En tempérant ces principes sans les démentir, tout le mal fait peut encore être réparé, tout le mal qui menace conjuré. C’est une conviction que nous voudrions établir à l’aide de quelques développemens malheureusement un peu étendus, et qui courent risque de nous entraîner assez loin du point de départ de ces considérations.


III

Ce serait perdre le temps pour un écrivain du XIXe siècle que de faire soit la critique, soit l’éloge de la souveraineté populaire. On ne critique point, on ne loue pas la nécessité : elle s’impose, on s’y conforme et on tâche d’en tirer parti. La souveraineté populaire, cette forme politique de la démocratie, s’avance et s’établit dans