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répartition des territoires. Tout est ici question d’appréciation et de mesure, de temps, de mode et de lieu. Il est des annexions très innocentes, sans inconvénient pour personne, ou qui peuvent être aisément compensées par d’amiables échanges. L’équilibre peut provenir de diverses combinaisons d’élémens, et des contre-poids différemment agencés aboutissent à des résultats équivalens ; mais il est aussi des absorptions et des créations d’états sans contre-poids possible, dont l’énormité seule est une menace, et projette autour d’elle une ombre sinistre. C’est contre un droit absolu que je proteste : je n’y veux répondre par aucun absolutisme d’interdiction. La seule chose à la fois légitime et nécessaire, celle que le bon sens réclame et qui n’est nullement contraire aux principes modernes sainement entendus, c’est que ces deux droits, — celui des peuples à s’agglomérer suivant leur propension naturelle, celui de la république européenne à ne pas nourrir dans son sein un dominateur, — soient mis en regard l’un de l’autre, contraints de traiter l’un avec l’autre, afin d’arriver, ce qui est toujours possible quand on est sage et de bonne volonté, par une transaction équitable à une satisfaction commune.


V

Résumons en quelques lignes tout le cours de ces développemens : respect religieux des traités, — retour, sous l’empire de garanties et de combinaisons nouvelles, aux traditions de l’équilibre européen, — à ces deux conditions, le droit nouveau peut très bien prétendre à exercer sur l’avenir des sociétés une action régulière. En acceptant les traités comme le droit écrit des états, en les confiant à la police réciproque, que des nations égales en puissance exercent les unes sur les autres, la société européenne, même devenue pleinement démocratique, peut rester en possession, tout aussi bien que par le passé, de ce mélange de droit et de force, de justice et de crainte, dont le complément mutuel est nécessaire au maintien de tout ordre social. C’est là l’essentiel, le reste n’est qu’un accessoire sans importance. Qu’importe, par exemple, que la diplomatie populaire soit condamnée à avoir moins d’élégance et d’éclat, peut-être même moins de tact et de mesure que la diplomatie royale ? Qu’importe que sa voix, obligée de dominer les échos de la tribune et de la place publique, prenne difficilement l’accent discret et voilé des salons ? Faible malheur, surtout si ce qu’elle perd en politesse elle le gagne en netteté et en franchise. Le beau parler est bon, le franc parler vaut mieux. Si à l’avenir nos diplomates ne recherchent d’autre ornement que cette sécheresse sévère qui brille dans certains documens émanés de la chancellerie de Washington, s’en