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pas courbé sous les labeurs d’un travail ingrat, ni flétri par les fatigues d’une industrie malsaine. L’ouvrier et le paysan sont robustes et vifs. Ce sont des gens aux vues bornées, poussant vigoureusement sous un beau ciel, dans un milieu hygiénique, jouissant de la vie sans efforts ni ambition, prenant du travail ce qu’il en faut pour vivre, au besoin d’une infatigable ardeur, mais le plus communément d’une paresse remarquable. La bourse vide, n’a-t-on pas des voisins, des amis chez lesquels on peut prendre place sans gêne aucune autour du brasero, avec l’assurance d’y trouver le riz et le thé ? Aussi quelle scrupuleuse observance des jours fériés ! quelle superbe occasion de chômage ! Et les jours de pluie ou dans les grands froids de l’hiver comme les plus misérables profitent de la circonstance pour aller s’abriter ou se chauffer ! L’homme ne leur paraît pas fait pour travailler dans de semblables conditions ; notre activité, notre besoin d’argent, se brisent contre cette philosophique insouciance… Nos marchands n’admettent ni le froid, ni la pluie ; il y a des bâtimens qui doivent charger, des paquebots qui ne peuvent attendre, de graves questions et de gros intérêts en jeu ; alors il faut s’adresser à l’autorité souveraine, les offres les plus séduisantes glisseraient sur l’épiderme insensible de ces enragés flâneurs. L’autorité, elle, ne fait pas de promesses, elle commande ; les coulies sont embrigadés, mangent et vivent dans certains établissemens, ils ont leurs chefs et leurs responsables ; l’ordre donné d’en envoyer tel nombre est aussitôt exécuté. Il n’y a pas de murmure. L’autorité s’est substituée à vous et les paie en votre nom ; mais l’ouvrier qui travaille dans son magasin, le maçon, le charpentier, tous ceux qui ne sont pas de simples manœuvres propres à tout faire, à remuer de la terre comme à embarquer les marchandises, avec quel empressement ils saisissent les moindres occasions de ne rien faire ! Règle générale, pour tout travail qui demande cinq jours d’application, un Japonais en demandera vingt afin de se ménager quinze jours de loisirs. Entre eux, toute transaction commerciale spécifie que les jours de pluie ne comptent pas, clause expresse de l’ouvrier, mais qu’il sera payé en cas de retard un dédit de tant par jour, disposition prudente du client. Pour le plus petit marché, il y a convention écrite, scellée des deux parties et visée par l’autorité compétente.

Cependant, dès qu’on jette les yeux sur ces ouvrages en laque que la main de l’homme a mis des mois et des années à vernir, sur ces vases en bronze à cire perdue[1], sur ces statuettes en ivoire dont l’expression est si fine, enfin sur les plus simples produits en papier et en bois, sur l’ébénisterie d’une maison ou d’un temple,

  1. On appelle moulage a cire perdue le moulage dans lequel la maquette eu cire est détruite par l’opération même du moulage.