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propreté. Si chez les gros bourgeois, la famille se donne le luxe d’un bain à domicile, les petites gens en sont encore aux bains publics dans toute leur simplicité. Nos habitudes de réserve et de pudeur sont complètement déroutées à la vue d’une salle où jeunes filles et femmes de tout âge se baignent en commun, sans prêter la moindre attention aux regards indiscrets ou curieux des passans, qui de la rue peuvent assister à ce spectacle. L’étranger fraîchement débarqué entre pour contempler cette nouveauté singulière, à laquelle il croit à peine. D’une espèce d’antichambre où la baigneuse se déshabille, il voit devant lui, à trois pas, sur un plancher en contre-bas de quelques centimètres, une agglomération féminine qui, riant et causant, vaque très tranquillement aux soins minutieux de la propreté. Çà et là des groupes d’amies s’installent à part, et, accroupies les unes à côté des autres, mettant leurs seaux en commun, elles se racontent leurs petites affaires ; ici une mère s’occupe de son enfant qui crie à tue-tête, tandis qu’à côté le garçon baigneur, beau jeune homme à peine vêtu, frotte ou essuie quelque jeune fille paresseuse et solitaire. A Yokohama, qui devient une grande ville, et où il existe une classe marchande relativement aisée, on trouve des bains avec séparation pour les deux sexes ; mais dans les quartiers pauvres et dans les villages de l’intérieur.il n’y a qu’une salle, le luxe de la séparation est inconnu.

Chaque ville du Japon a tout un quartier consacré à la débauche, le yoshivara, — large emplacement séparé du reste de la cité par un fossé ou par quelque autre obstacle matériel qui ne permet qu’une communication restreinte, toujours placée sous l’œil vigilant de la police. Le long des rues qui y aboutissent se dressent des bains, des restaurans, des tirs à l’arbalète, toutes les petites industries qui spéculent sur la joie, le vice ou le désœuvrement. Quand la ville est endormie ailleurs, tout brille, tout est illuminé de ce côté. Autour d’un jardin ou d’une cour s’élèvent de grandes constructions dont le rez-de-chaussée, vaste cage en bois, laisse apercevoir à travers ses barreaux de jeunes Japonaises accroupies devant leur brasero et fumant la pipe. Elles sont vêtues de robes de soie richement brodées d’or ; leur coiffure est traversée en tout sens de larges épingles en écaille, le fard s’étale sur leurs figures en larges plaques blanches et rouges. C’est la prostitution aussi tranchée et plus réglementée que dans nos pays. Elle paraît immense et presque en honneur, à en juger par la grande quantité de curieux qui vont et viennent dans les rues du yoshivara, mais, au lieu de se traîner dans tous les quartiers de la ville, de guetter au coin des carrefours, elle est reléguée en masse dans cet endroit spécial, où elle a le droit de s’afficher. Personne ne peut s’en plaindre. On n’entre pas au yoshivara comme par hasard. Il ne