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navigateurs ; mais, tout en rompant avec les habitudes chinoises, il a conservé cette simplicité, ce naturel, cette horreur des accessoires, que nous ne connaissons plus et qui nous font hausser les épaules. Une foule bigarrée, composée d’élémens des deux sexes, boit, mange, fume, rit, s’interpelle, échange ses impressions sans ordre, sans gêne, sans contrainte ; les enfans, en grand nombre, montent sur la scène pendant les entr’actes, visitent les coulisses et examinent les costumes. Le spectateur complaisant se dévoue pour les besoins de la communauté en éméchant la chandelle fumeuse placée près de lui, tandis que les émècheurs rétribués ne craignent pas, même au milieu de la tirade la plus pathétique, de venir sur la scène satisfaire aux exigences nauséabondes de leur emploi. Pas de puissance occulte pour faire lever ou tomber le rideau ; le plus modeste des domestiques manœuvre l’appareil aux yeux des spectateurs. Pas de changemens à vue ; les décors arrivent sur la scène portés par les comparses de la façon la plus naturelle du monde. Pas d’effets trompeurs de lumière ; la jeune première qui marche est suivie dans ses mouvemens par deux chandelles emmanchées au bout d’un bâton et tenues dans la coulisse par deux acolytes, dont le rôle, si modeste qu’il soit, demande encore des interprètes fidèles.

Le théâtre japonais comprend deux genres distincts, le drame et la comédie. Le drame est resté chinois de convention ; il ne met en scène que de grands personnages empesés, guindés, chantant au lieu de parler. Ce n’est pas là qu’il faut étudier le théâtre indigène. Le public n’est véritablement chez lui qu’au vaudeville. Les personnages qui s’agitent sur la scène sont des gens qu’il voit tous les jours ; ce qu’on joue devant lui, ce sont des incidens de sa vie personnelle : aussi comme il écoute, comme il rit ! Il interpelle l’acteur et lui donne la réplique, il lui jette un bon mot, s’il le voit à court. Il est impossible de trouver dans n’importe quel théâtre plus de naturel qu’au vaudeville japonais, plus d’entrain, de bonhomie et de gaîté franche. Les différences qui existent entre l’état social du pays et le nôtre provoquent cependant des différences scéniques essentielles. Ce qui ne serait qu’une légèreté chez nous devient crime chez les Japonais ; mainte de nos peccadilles leur paraît une monstruosité. Le mari que l’on trompe ou que l’on cherche à tromper, la femme coupable ou la femme hésitante sont autant de mythes sur la scène japonaise ; elle n’admet même pas ces imbroglios de nos vaudevilles qui, après avoir amoncelé des nuages menaçans pour la fidélité conjugale, finissent par se dénouer en tout bien, tout honneur pour le mari. Dans une société où l’adultère est un crime sans excuse et d’ailleurs fort rare, toute tentative d’adultère paraît mauvaise à représenter comme peinture de mœurs, et toute intrigue