Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 73.djvu/650

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ces mêmes signes de laideur se retrouvent chez la femme à la suite de chagrins ou dans le deuil : partout c’est une invitation au respect, une renonciation manifeste au plaisir. Rien cependant n’est irrévocable dans cette situation, lorsque c’est le mariage qui l’a créée. Le mariage au Japon n’est pas indissoluble, et, du moment qu’il y a accord entre les deux parties, on se quitte avec la même facilité et sans plus de formalités qu’on n’en avait mis à s’unir. Une fois en possession du papier par lequel le mari lui rend sa liberté, la femme rentre le plus naturellement du monde dans sa première condition. En trois jours, ses dents ont recouvré leur blancheur ; en deux mois, ses sourcils sont redevenus épais. Quoique les Japonais ne se fassent pas un jeu de ces séparations, elles sont fréquentes et expliquent la rareté de l’adultère. Ce système de mariage admis, la paternité n’a plus nos exigences ; l’adoption la remplace. Ce que nous avons nommé la voix du sang n’existe pas. L’enfant n’a d’autres parens que ceux qui l’élèvent, qui le soignent et qui répondent de lui aux yeux de l’autorité. Peu importe qu’ils l’aient mis au monde ou qu’ils l’aient recueilli par bonté, par spéculation peut-être ; il n’en connaît pas d’autres, et nos raisonnemens européens sont impuissans à lui faire entendre ses devoirs réellement filiaux. Les hasards de l’existence lui feront changer de famille, souvent il ignorera de qui il tient le jour.

Le Japonais est curieux, et cependant il n’a pas la moindre notion des événemens politiques qui se passent dans son pays. Ces choses-là ne l’intéressent que médiocrement, on dirait qu’il a peur d’y être mêlé. Il respecte son prince uniquement parce qu’il est son prince, et médit des autres, qu’il considère comme ses ennemis naturels. L’almanach lui donne les noms des dix-huit daïmios[1] indépendans et leur état de fortune ; ce sont des détails qu’il sait par cœur ; au-delà, il ne cherche pas à en savoir plus. Pourtant dans les moindres petites villes il y a des conférences, et une assistance nombreuse, toute composée d’hommes du peuple, vient chaque jour écouter des récits de bataille ou de légendes que lui fait quelque orateur populaire. Presque tout le monde sait lire et écrire ; il y a des écoles partout, dans les petits villages, sur les grandes routes même. Si pour les hautes classes l’art d’écrire est une science dans laquelle on se perfectionne jusqu’au dernier moment, les signes de l’écriture étant comme en Chine aussi nombreux que les nuances de la pensée, pour le peuple il y a une écriture courante, facile, comprenant seulement quelques signes usuels et ne répondant qu’aux besoins les plus stricts de l’existence, une série de petits rébus que l’on déchiffre avec plus ou moins de peine.

  1. Le titre de daïmio indique un degré élevé de noblesse.