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quarante-sept héros se démirent de leur charge, abandonnèrent le pays, et pendant des années la légende nous les montre courant les aventures sous des noms d’emprunt, mais poursuivant sans relâche l’œuvre commune, enfin, l’expiation accomplie, se suicidant devant le corps du meurtrier qu’ils viennent de punir.


II

La vue de Yokohama, ville bâtarde créée uniquement pour les étrangers, où le langage et les habitudes se ressentent de notre contact incessant, fait bientôt naître le désir d’aller saisir sur le fait, dans un endroit plus pur de mélange, la vie des Japonais. Une visite à Yeddo, distante de quelques lieues seulement, est une de ces tentations auxquelles peu de voyageurs savent résister. La capitale du taïcoun est pour nous la capitale du Japon, la ville immense et mystérieuse, commerçante et politique, d’où partent les instructions d’un pouvoir despotique que chacun subit avec une soumission aveugle. En arrivant de Yokohama, on entre dans Yeddo par la place des supplices. Le voyageur avide d’émotions et de nouveautés peut débuter par le spectacle d’une exécution. Les Japonais ne sont pas en voie d’abolir la peine de mort ; il est vrai que leurs voisins les Chinois les laissent bien en arrière pour la répression. Il y a quelques années, en Chine, les condamnés à mort pouvaient, dit-on, se faire remplacer. Au milieu de tant de misères, il était facile, paraît-il, de trouver quelque pauvre diable qui, cédant à l’attrait d’une petite fortune assurée à sa famille et d’une semaine préalable de chère lie dans sa prison, allait de gaîté de cœur expier les crimes d’un inconnu. Peut-être est-ce une légende à l’égard des voyageurs ; néanmoins, devant la multiplicité des exécutions, on comprend qu’aux yeux de beaucoup de gens la mort perde de son horreur ; puis dans le Céleste-Empire tant de malheureux meurent de faim, tant d’autres disparaissent broyés par ces insurrections soudaines, sans motif appréciable, qui s’abattent sur les campagnes et ne laissent derrière elles que des ruines et des cadavres ! A Pékin, l’on décapite tous les jours. — En 1865, après l’arrestation à Yeddo et le jugement de Sémidjé, reconnu coupable d’avoir assassiné deux officiers anglais, les Japonais nous donnèrent dans toutes les règles le spectacle d’une marche funèbre à travers les rues de Yokohama. Sémidjé, à genoux sur un cheval et étroitement lié, fut promené pendant tout un jour dans la ville européenne, au milieu d’une escorte d’infanterie et entre deux valets portant un écriteau sur lequel étaient relatés le crime et la punition. Le condamné, bel homme aux apparences vigoureuses, mais visiblement affaibli par la prison et la torture, promenait sur la foule un regard fier où