Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 73.djvu/657

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

développemens exagérés qu’elles affectent. L’œil y glisse sur une longue natte unie sans rencontrer le moindre obstacle de tables ni de chaises ; contre les murs, des casiers en bois contiennent les marchandises. Toute cette simplicité n’en renferme pas moins des soieries et des crêpes magnifiques. Les chalands sont nombreux, presque tous du sexe féminin. Il y a là, selon toute apparence, de très petites bourses ; mais ne faut-il pas, dans toutes les conditions, renouveler le morceau de crêpe gaufré qui tient les cheveux ? N’a-t-on pas toujours envie, sinon besoin, d’un tablier ou d’une ceinture ? Les jeunes filles, avec leurs femmes ou leurs amies, remuent toutes les étoffes et se consultent sur la couleur et le genre de robe que réclame telle partie de plaisir encore éloignée. Ces quartiers marchands offrent un aspect des plus gracieux à l’époque des grandes fêtes et principalement lors des jours de liesse qui signalent le renouvellement de l’année. D’un bout à l’autre de la ville, les rues ont été pour l’occasion plantées de bambous ; chacun a cloué sur le fronton de sa porte, au milieu d’une guirlande de verdure, un trophée qui se compose invariablement d’une orange, d’un gâteau de riz et d’une langouste, le meilleur fruit, le meilleur légume et le meilleur poisson. A l’intérieur s’amoncellent des gâteaux de riz de toutes dimensions, cadeaux que le maître de la maison destine aux domestiques et aux amis de la famille. Les marchands ont une collection d’éventails et de petits bols en porcelaine qu’ils offrent en souvenir aux passans qui leur souhaitent la nouvelle année. Partout où l’on entre, la table est servie, et l’hospitalité exige que l’on invite le visiteur à prendre sa part du repas. Chacun a revêtu ses plus beaux habits de fête ; les jeunes filles et les enfans ont des toilettes et des coiffures parfaitement correctes. Les gens de distinction ont endossé leur costume officiel de cérémonie ; des domestiques les suivent, portant gravement sur un immense plateau des cartes de visite d’une grandeur exagérée.

Au centre de la ville, nous sommes en face de Nipon-Hashi (pont du Japon), sous lequel passe un des nombreux bras de rivière qui serpentent dans Yeddo. Nipon-Hashi est la borne milliaire du Japon ; toutes les distances dans l’empire se comptent à partir de ce point. Nous nous approchons machinalement des boutiques volantes qui se dressent des deux côtés du pont ; sur de petites tables sont des stéréoscopes et des photographies. On voudrait croire qu’il y a dans quelque coin du monde une officine secrète où se fabriquent les nudités étalées là. Non, les marques en sont françaises, anglaises, allemandes, suisses. Chaque pays, chaque peuple contribue pour sa part à cet étalage. Les Japonais passent un à un, donnent une petite pièce de monnaie, regardent et rient le plus cyniquement du monde. Devant de pareils spécimens des mœurs