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main de l’avoué, attorney[1]. Cette règle ne souffre guère qu’une exception : le prisonnier qui attend son jugement peut appeler directement un barrister dans sa cellule et s’entendre avec lui sur la question d’argent ; l’avocat est tenu de le défendre. Dans tous les autres cas, l’avoué est le lien entre le client et celui qui doit plaider la cause. Qui ne comprend dès lors à quel point cet homme de loi, quoique d’un rang inférieur, se trouve par le fait le patron du barreau et l’arbitre en quelque sorte des destinées du jeune homme qui débute dans la carrière ? Et pourtant le code d’honneur dont il a déjà été parlé interdit sévèrement au novice de courtiser par d’indignes moyens les bonnes grâces de ce Mécène. Je ne voudrais point répondre que cette loi morale, s’adressant à la conscience du barreau anglais, soit toujours observée très fidèlement. Certes, pour le jeune homme ambitieux ou pressé par le besoin, la tentation est bien forte, et il faut une vertu stoïque pour y résister. Si d’un autre côté il viole dans ses rapports avec le distributeur d’affaires les règles de la bienséance et de la délicatesse, le barrister en sera-t-il plus heureux ? Non vraiment. A dater de ce jour, son talent, à supposer qu’il en ait, n’est plus qu’un instrument dans la main d’un autre. L’avocat anglais a cela de commun avec le physician (médecin du premier ordre), qu’il ne peut réclamer devant une cour de justice le prix de ses services. Ce n’est point un salaire, c’est ce que nos voisins appellent gratuity (cadeau). Averti par cette disposition de la loi, le physician tend la main pour recevoir sa guinée avant qu’il ne quitte la chambre du malade. Quant à l’avocat, il obtient en général du client un bref sur lequel est écrit le chiffre des honoraires qu’on lui propose ; mais, comme ces arrangemens se font toujours par un intermédiaire, il arrive dans certains cas que l’attorney s’attribue d’une manière ou d’une autre la part du lion. En Angleterre, le train d’un barrister qui veut se lancer exige d’un autre côté d’assez gros sacrifices d’argent. Plus d’un jeune orateur du barreau, ayant foi en lui-même et sentant pousser ses ailes, prend tout à coup son vol. C’est le moyen d’engager la fortune à le suivre, et pourtant cette capricieuse déesse n’obéit point

  1. Les attornies forment en somme une corporation très honorable. A l’instar des avocats, ils ont fondé, au prix de 90,000 livres sterling (2,272,500 fr.), un hôtel, Clifford’s Inn, où ils reçoivent des étudians et leur imposent des examens. Les frais d’éducation pour un jeune homme qui se prépare à exercer les fonctions d’attorney ou de solicitor s’élèvent d’ordinaire à 25,000 fr. Cet inn a, comme les autres, des chaires pour les cours publics, une bibliothèque et une grande salle, hall, qui sert de réfectoire. L’opinion générale est que le caractère des avoués anglais s’est beaucoup élevé depuis un siècle dans l’estime publique. Quelle est pourtant la profession où ne se rencontre de temps en temps ce que nos voisins appellent black sheep, des brebis noires ? « Il y a des avoués, disait lord Hardwicke, auxquels je confierais volontiers ma vie et mon honneur ; il y en a d’autres auxquels je ne confierais point mon vieil habit. »