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invoquant les usages de la jurisprudence britannique : la danseuse fut condamnée. Cette liberté avec laquelle la presse juge en Angleterre les actes de la justice et le respect que témoignent les magistrats pour les organes de l’opinion publique, bien loin d’affaiblir l’autorité des tribunaux, leur donnent au contraire une haute sanction morale. Nos voisins ont peu de foi dans la valeur d’institutions qui n’osent point être discutées. La force des gouvernemens libres est qu’ils arment la conscience de tous contre les mauvais instincts de la nature humaine. Ils laissent à d’autres cette politique à la fois cauteleuse et insolente qui, s’appuyant avant tout sur les faiblesses personnelles, les lâches ambitions et l’abaissement des caractères, se venge du mépris par le silence dont elle s’entoure.

Les juges anglais, même ceux des tribunaux.de police, sont tous d’anciens avocats qui ont fait leurs preuves dans le barreau durant quelques années et conquis une certaine distinction. Habitués à plaider, comme on dit, le pour et le contre, ils n’en sont que mieux préparés à envisager sous toutes les faces la question qu’ils sont appelés à résoudre du haut de leur tribunal. A une grande science, à une réputation solide, à un caractère qui défie les soupçons, quelques-uns ajoutent un esprit fin et mordant. Qui le croirait ? c’est parmi ces graves magistrats qu’on rencontre souvent au-delà du détroit les plus célèbres punsters (diseurs de bons mots). Il suffira bien d’un seul trait pour donner une idée du caractère de ces saillies britanniques. Un avocat beaucoup trop pompeux plaidait un jour devant lord Ellenborough. « Mes lords, dit-il en commençant son exorde, il est écrit dans le livre de la nature… » À ces mots, il fut interrompu par le président du tribunal, qui lui demanda avec un grand sérieux : « Auriez-vous la bonté de me citer la page ? » D’autres ont laissé après eux dans les annales de la magistrature le souvenir de certaines habitudes excentriques. Le vice-chancelier sir Lancelot Shadvvell était connu pour up nageur infatigable. Tous les matins, on le voyait lutter avec la Tamise quand il demeurait à Barnes Elms. Un jour, des plaideurs qui avaient besoin de ses services le cherchèrent vainement dans toute la ville. Ils eurent enfin l’heureuse idée de fréter une barque, et ne tardèrent pas à le découvrir qui fendait l’eau. Comprenant qu’on avait besoin de ses avis, le magistrat, transformé pour l’instant en triton, s’approcha du bateau, fit la planche, écouta gravement les deux parties, proposa des moyens d’arbitrage, et, quand l’affaire fut arrangée à la satisfaction des uns et des autres, continua sa promenade aquatique.

Pour bien saisir le mécanisme des institutions de la loi en Angleterre, il faut les voir à l’œuvre. Je ne m’occuperai point de la