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sent comment de conséquence en conséquence il est possible d’en venir à représenter comme une suite naturelle de cette relation constatée entre la nature, ses lois, sa première cause et notre intelligence, — la foi de notre raison dans ses rapports de communauté avec les choses intelligibles et divines. Ainsi M. Butler espère expliquer l’aspiration de l’intelligence à la contemplation des idées ou d’un monde supérieur d’une manière qui ne prête à sourire à aucun de ceux qu’il appelle les modernes physiologistes de l’esprit[1].

À cette diversité d’appréciations, l’on doit comparer celle que M. Cousin a fortifiée de sa grande autorité, celle de la plupart des professeurs de l’école française, quoique M. Th.-Henri Martin l’ait combattue dans ses études sur le Timée, et que l’auteur d’une excellente dissertation sur la psychologie de Platon, M. Chaignet, ne paraisse pas disposé à l’accepter sans restriction. C’est à M. Paul Janet de la défendre, et il a tout au moins réussi à prouver, avec la supériorité à laquelle il nous a habitués, qu’elle s’appuie sur d’autres parties importantes du platonisme que toute autre interprétation rendrait peu conciliables avec la théorie des idées. Je suis donc prêt à le suivre, à me déclarer platonicien à sa manière, ne demandant à réserver qu’un point : c’est que Platon n’a pas toujours distinctement, résolument, suivi ou accepté ces conséquences de la théorie des idées, qu’après avoir conclu leur existence, leur nécessité, de notre faculté de concevoir les choses en général, il s’est souvent arrêté là, s’est exprimé d’une manière indécise, et qu’il est demeuré dans le vague, ou n’en est sorti que lorsque de nouvelles méditations ou des questions nouvelles l’ont conduit à des développemens nouveaux. M. Janet convient que plus d’une fois il a justifié sa théorie par des exemples très mal choisis, conséquemment par des preuves qui tournaient contre elle. Il a paru confondre avec les idées nécessaires tantôt de simples généralisations des perceptions de l’expérience, comme l’idée de table ou de lit, tantôt ces abstractions qui isolent des qualités de toute substance, comme l’égalité ou la blancheur. Que signifie en effet, je le demande, l’idée éternelle du blanc et que représente-t-elle à l’esprit? Si Platon a pu tomber dans de telles confusions, s’il a porté autant d’inexactitude dans la dialectique appliquée aux opérations de la pensée, comment ne pas admettre qu’il a bien pu, au début du moins ou par instans, hasarder la doctrine des idées comme une première vue, une solution encore vague, une théorie non encore dégrossie, et qui pouvait être la vérité, mais qui ne devait l’être qu’approfon-

  1. Rev. Archer Butler’s Lectures on the history of the ancient philosophy, Cambridge.