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faisait observer les éclipses, et l’on s’en allait content et flatté de voir tout cela aussi bien que lui. Lorsqu’il avait fait quelque découverte, il ne manquait jamais de l’apporter aux pieds du grand roi avec des marques d’adulation qui étaient assez dans les mœurs du temps. Ainsi il proposa de donner le nom de sidera Lodoïcea, — astres de Louis, — aux quatre satellites de Saturne qu’il découvrit à Paris de 1671 à 1684 avec les lunettes de Campani, comme Galilée avait appelé sidera Medicœa les satellites de Jupiter[1]. Le roi ne restait pas insensible à des flatteries aussi délicates, qui semblaient assurer à sa gloire des monumens plus durables que le marbre et le bronze. Les monumens sont restés, mais la postérité en a effacé le nom du roi.

Une curiosité assez naturelle poussait à cette époque les astronomes à faire l’essai de lunettes de dimensions colossales au moyen desquelles ils se flattèrent de pouvoir pénétrer tous les mystères des mondes planétaires. Hooke parlait de faire des lunettes de 10,000 pieds qui permettraient de voir des animaux dans la lune. Auzout était d’avis qu’il suffirait d’avoir des instrumens assez puissans pour nous y faire apercevoir des édifices ou des flottes, d’où on pourrait conclure à l’existence des habitans. Il se contentait d’une longueur de quelques centaines de pieds. Des lunettes de ces dimensions firent en effet une apparition passagère à l’Observatoire, il y en eut une qui avait 300 pieds de foyer, ce qui suppose un tube d’une longueur égale à la hauteur de la flèche des Invalides. Ces tubes monstrueux ne pouvaient plus être installés dans le bâtiment même, il fallut les laisser en plein air sur la terrasse. Pour les diriger, on essaya d’abord de les suspendre à des mâts d’une hauteur prodigieuse au moyen de poulies et de cordes ; on fit même venir à cet effet une tour de bois colossale au sommet de laquelle la machine de Marly déversait peu de temps auparavant les eaux destinées aux réservoirs de Versailles. Auzout et Cassini se décidèrent ensuite à supprimer tout à fait le tuyau des lunettes ; on hissait les objectifs à une certaine hauteur, et l’observateur se plaçait au foyer avec l’oculaire à la main. La lunette se trouvait ainsi réduite aux deux pièces essentielles qui en déterminent l’effet optique, mais l’on s’aperçut bientôt qu’il était impossible de manœuvrer ces deux pièces avec la précision requise pour obtenir des images distinctes, et Cassini dut renoncer à ce genre d’entreprises,, qui contribuèrent cependant à augmenter son prestige. En le jugeant aujourd’hui, à deux siècles de distance, nous ne pouvons nous empêcher de

  1. Le souvenir de ces découvertes fut consacré par une médaille commémorative qui porte en exergue : Satellites Saturni primum cogniti.