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attributs est une idée divine. C’est là ce que dit Platon. Il n’est pas seul à tenir ce langage. Que la vérité soit divine, que même la vérité soit Dieu, c’est un lieu commun de la haute théologie. Saint Augustin, Bossuet, Fénelon, pour n’en pas citer d’autres, l’ont textuellement répété. Faut-il entendre que Dieu ne soit rien que la vérité? Ce serait trop peu dire. Nous venons de voir que la vérité des choses possibles, que la vérité idéale peut être, en même temps qu’éternelle, indépendante de toute réalité, de toute existence, et l’on ne peut prétendre, au moins les docteurs chrétiens n’entendent pas que Dieu soit cette vérité-là. Ils hésiteraient à écrire sans explication ni restriction que Dieu est une idée ; ils craindraient trop qu’on n’entendît qu’il n’est que cela, et dans aucun cas, de ce que Dieu est une idée, il ne résulterait évidemment qu’il existât.

On peut dire que, pour les théologiens et de fait pour à peu près tous les hommes, Dieu est posé avant toute théologie, toute philosophie. On a entendu parler de Dieu, on a admis son existence, on s’est fait une conception assez compliquée de sa nature, avant de réfléchir scientifiquement sur cette existence et sur cette nature; après cela, il n’est pas difficile de l’assimiler en général à la vérité éternelle. Mais la philosophie, notamment la dialectique platonicienne, peut suivre un ordre inverse. Elle peut ne se pas supposer antérieurement en possession de la notion de Dieu pour lui rapporter ensuite l’idée de la vérité, à raison d’une certaine communauté d’attributs, et alors elle commencera par la vérité éternelle, par l’idée éternelle, pour en faire quelque chose de divin et parvenir ainsi à la notion de Dieu. Si l’on fait abstraction de toute croyance préalable et purement traditionnelle en Dieu, si l’on écarte les preuves et les argumentations usitées pour établir son existence et sa nature, on trouve, par une voie très sûre et peut-être plus rapide, la notion de l’essence immutable, de la vérité nécessaire, de l’idée éternelle; on se figure ou l’on reconnaît que l’on ne sait que cela, puis (et c’est ainsi que les philosophes anciens ont souvent procédé) on appelle divin ce que l’on a ainsi conçu, et par ce mot on n’entend pas encore désigner un être qui soit Dieu; on entend seulement que quelque chose d’indépendant de toute réalité relative, de supérieur par son invariabilité à toutes les choses humaines, à toutes les choses terrestres, appartient à une sphère qui n’est pas ce monde. Divin en ce sens n’est qu’un équivalent d’éternel et d’absolu. Si c’est là une notion qui n’est pas adéquate au Dieu de la théologie chrétienne, à celui de la croyance universelle ou même de toute théodicée philosophique, c’est du moins le commencement et la base d’une conception de quelque chose de surhumain, et néanmoins présent dans la raison humaine, ce qui est