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quel ton il la redit à son père ! On comprend sa colère ; ce qu’on ne saurait comprendre, c’est le sang-froid de Forestier, qui ne découvre pas dans ces éclats de rire, dans ces yeux noyés de larmes, le feu d’un amour toujours vivant ; ce que l’on comprend moins encore, c’est que ce père, au récit de la honte de Léa, ne se demande pas s’il n’est lui-même pour rien dans cette déchéance, et se contente de dire d’un ton glacé :

Il est certain, mon cher, qu’une telle aventure
De la compassion étouffe le murmure.

Léa, qui ne peut se contempler elle-même sans rougir, qui a perdu jusqu’au droit de se rassasier en paix de sa douleur, n’a plus qu’à se faire dans la solitude un tombeau anticipé. Ce refuge même lui est enlevé. Il faut d’abord qu’elle reçoive les épanchemens de sa nièce Camille, avide de lui raconter son bonheur. La femme et la maîtresse sont en présence, la première tout orgueilleuse de ses joies tranquilles, confiante et assurée dans l’affection légale de son mari, ne daignant pas, ô naïveté ! se montrer jalouse des infortunées qui ont dévoré en passant au bord du chemin les premières feuilles de ce cœur qu’elle possède maintenant tout entier, et ne s’informant pas même si Paul eut jamais des maîtresses, qui pour elle sont non avenues.

Car leur rôle consiste, autant que j’ai compris,
A donner patience à nos futurs maris.
On dit que c’est dans l’ordre, et que jamais l’épouse
N’y perd rien dont elle ait sujet d’être jalouse.


C’est ainsi qu’ignorante de la passion et de ses éclats foudroyans, elle remue d’un doigt insolent et candide les cendres encore chaudes d’un foyer qui n’est qu’assoupi. La passion qu’elle outrage s’agite longtemps frémissante et muette, jusqu’à ce qu’elle se réveille à la fin, car elle a son orgueil aussi, l’orgueil de ses plaisirs chèrement achetés par la honte et les larmes, mais plaisirs sans rivaux, de ses souffrances gaîment affrontées, parce qu’elles sont suivies de transports dont le souvenir ne s’efface jamais, et, du nuage sombre où elle habite avec la foudre, elle éclate et disperse au vent ces petits bonheurs que les âmes faibles s’arrangent à l’abri des conventions et de la loi :

L’amour comme la guerre a sa chair à canon.
Femme galante ou femme adultère, le nom
N’y fait rien. C’est toujours une femme perdue
A qui pour tout loyer l’ingratitude est due.
Dévorez-lui le cœur pour tromper votre faim,
Dupez-la. Ce n’est pas agir en aigrefin,
C’est dans l’ordre. Il faut bien gagner le mariage
Et charmer de son mieux les ennuis du voyage.
On n’en est pas jaloux, et comme on a raison !
L’auberge porte-t-elle ombrage à la maison ?
CAMILLE.
C’est ce que je me dis.