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Européen se trouvait singulièrement amoindrie au contact plus que misérable d’une garde dont l’extérieur formait un bien singulier contraste avec le calme, la propreté et la déférence des cortèges de seigneurs que l’on croisait chaque jour dans la ville officielle. Ainsi tournaient contre nous les mesures les plus simples. Il est vrai de dire que le gouvernement du taïcoun n’en profitait guère : les insultes qui pleuvaient journellement dans les rues de Yeddo sur nos gardes du corps ne nous donnaient pas une haute opinion du respect que montrait à son endroit la noblesse japonaise.

En juin 1861, le ministre d’Angleterre, sir R. Alcock, revint de Chine ; ayant débarqué à Nagasaki, il se rendit à Yeddo par la voie de terre, refaisant le voyage des Hollandais et traversant du sud au nord le plus magnifique pays que l’on puisse voir. Le 3 juillet au soir, il venait d’entrer à Yeddo, ses compagnons de route se retiraient dans leurs appartemens, quand un domestique chinois donna l’alarme. La légation était attaquée. Les assaillans paraissaient ne pas connaître leur terrain ; ils erraient à tâtons, on entendait des pas dans le jardin, et dans les étroits corridors le bruit toujours plus rapproché des sabres brisant les faibles cloisons de lattes et de papier qui séparent les appartemens. Ils arrivaient ainsi peu à peu, rendus de plus en plus furieux par leur œuvre de destruction, jusqu’à la chambre du ministre, lorsque parurent les soldats d’escorte. Étaient-ils complices ? avaient-ils fermé les yeux pour quelques instans ? était-ce un sentiment de remords, de crainte, qui avait armé tardivement leurs bras ? Une fois engages, ils se battirent avec courage. Les recherches faites sur les victimes de ce combat ne fournirent aucun indice suffisant pour amener la découverte des instigateurs de l’attentat. Le gouvernement du taïcoun en accusa quelques princes, ses ennemis personnels, parla comme d’habitude d’un parti hostile aux étrangers, et contre les manœuvres duquel il luttait avec persévérance. En résumé, ses explications n’eurent rien de précis. Le coup était peut-être parti de trop haut pour qu’il pût en faire connaître l’origine sans se perdre aux yeux de ses compatriotes. Il resta chez les Européens l’idée que nous avions bien des luttes à entreprendre avant de vaincre la répugnance que montrait la noblesse japonaise pour les traités de 1858, et c’est sous cette impression que sir R. Alcock, au lendemain de l’attentat contre la légation anglaise, écrivait à lord John Russell : « Mus par différentes considérations suggérées d’abord par les Hollandais et plus tard par les Américains, les seigneurs du Japon, dans un moment malheureux, ont été amenés à accepter un fait contraire à leurs usages, c’est-à-dire à admettre les étrangers dans leur pays et avoir avec eux des relations diplomatiques et