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à la cour de Kioto. La vue de l’escadre anglaise ne paraissait pas avoir jeté le découragement dans les esprits. Plus que jamais nous étions menacés. Presque chaque jour les autorités de Yokohama se faisaient un jeu de nous avertir de la présence de malfaiteurs envoyés par différens princes pour brûler les établissemens européens. Les nouvelles qui arrivaient de Kioto étaient de plus en plus mauvaises ; le taïcoun y était mal reçu, le parti de la guerre triomphait ; à l’ultimatum de l’Angleterre on répondait en discutant la question de chasser les Européens du Japon. L’amiral Kuper, qui commandait l’escadre anglaise, se voyant à la veille d’éventualités qui pourraient, par suite du rejet de ses demandes, éloigner de Yokohama une partie de ses forces et laisser ses concitoyens en butte à la haine des Japonais, ne crut pas pouvoir répondre de la sécurité de ses nationaux. L’amiral Jaurès, commandant l’escadre française, venait d’arriver. Sans chercher à approfondir des difficultés politiques d’une nature aussi compliquée que celles qui surgissaient au Japon, et, laissant le débat extérieur se poser entre ce pays et l’Angleterre, il pensa ne pouvoir pas rester inactif. Il vit du premier coup d’œil que l’audace des Japonais allait dépasser toute limite, que les attaques annoncées devenaient inévitables, qu’il n’y aurait pas de nationalité reconnue dans les luttes nocturnes qui s’annonçaient, enfin que la marche des événemens allait amener l’évacuation générale de Yokohama après une grande effusion de sang et provoquer dans la suite une guerre fatale avec toutes les puissances européennes. Restait une dernière chance, dont il s’empara, celle de prendre Yokohama sous sa protection, et de neutraliser cette place en cas de guerre entre l’Angleterre et le Japon. Cette mesure répondait au caractère énergique de l’amiral, elle avait la sympathie avouée du ministre de France, M. Duchesne de Bellecour, nature essentiellement chevaleresque.

Le gouvernement du taïcoun, après avoir essayé quelque temps encore du système d’intimidation, passant tout à coup d’un extrême à l’autre, semble se jeter dans nos bras, et de lui-même transmet à l’amiral français une commission officielle de commandant en chef de la ville de Yokohama, avec pleins pouvoirs sur les troupes japonaises. Cependant les Anglais n’ont encore que des promesses au sujet du paiement de l’indemnité, et de Kioto les nouvelles sont déplorables. Il est question de déposer le taïcoun, qui ne veut décidément pas entreprendre de nous chasser du Japon. Satzouma, dit-on, est l’instigateur du complot ; l’ordre de nous expulser est positif, et Stotsbachi, le fils du prince de Mito, est chargé de le mettre à exécution. Le mikado lui a conféré tous les droits du taïcoun ; il est arrivé le 31 mai à Yeddo, muni de pleins pouvoirs.