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victoires, de l’autre par des alliances de famille habilement ménagées, Hiéas parvint à dominer le Japon, à faire plier sous sa volonté tous les seigneurs ses rivaux, enfin à imposer à l’empereur la création du taïcounat actuel. Entre les daïmios et l’empereur fut signée la constitution connue sous le nom de loi de Gongensama, pacte sacré auquel notre présence au Japon est venue porter un coup mortel. D’une manière générale on peut dire que dix-huit des grands princes de l’empire étaient indépendans dans leurs états, mais qu’ils reconnaissaient la supériorité du taïcoun en habitant Yeddo pendant plusieurs mois de l’année et en y laissant comme otages pendant leur absence un certain nombre de parens ou de serviteurs. Ainsi le taïcoun voyait sa capitale prendre le premier rang au Japon, son autorité et son influence politique grandir par la vassalité officiellement reconnue des autres princes, son influence commerciale augmenter par le séjour forcé d’une population flottante dont le chiffre s’élevait par momens à près d’un million d’âmes. A Yeddo, autant qu’on peut en juger, se tenaient les conseils de l’empire, se débattaient les règlemens généraux de police intéressant à la fois tous les seigneurs du Japon. Quand il s’agissait de circonstances graves, de modifications à la constitution, de guerre, de dissensions entre princes indépendans, alors seulement le mikado réunissait les intéressés dans sa capitale, et reprenait un pouvoir pour l’exercice duquel, en temps de calme, il s’en remettait au taïcoun ou plutôt au conseil appelé gorodjo, la nomination des membres du gorodjo étant d’ailleurs sanctionnée par sa main impériale. Nous avons de la peine, on le comprend, à saisir une situation établie sur de pareilles bases ; nous n’avons pas l’habitude d’un souverain aussi dégagé des minuties administratives du gouvernement, vivant à l’écart et conservant intact, sans aucun appui de force armée, son prestige et son autorité de chef suprême. Aussi avons-nous fait du mikado un pape, un souverain spirituel.

Le fils d’Hiéas, en mourant, nommait un prince de Ki pour son successeur, et disposait d’une façon absolue du pouvoir en y destinant les princes de Ki, d’Owari et de Mito, qui devenaient ainsi les chefs de trois familles dites Gosankés, appelées, à l’exclusion de toutes les autres, à occuper le trône taïcounal. Seulement deux des branches héréditaires, Owari et Ki, se maintenant étroitement unies par des liens de famille et d’amitié, étaient parvenues jusqu’ici à écarter du pouvoir tous les compétiteurs de la famille de Mito. Le dernier taïcoun était un prince de Ki ; Owarisama commandait son armée lorsqu’en 1865 il se rendait à Kioto[1]. La discorde est née

  1. Depuis notre départ du Japon, l’Europe a appris que le taïcoun était mort à Kioto d’une maladie chronique, selon, les versions officielles, du poison que lui ont versé ses ennemis, si l’on s’en rapporte aux bruits populaires. Stotsbachi, qui lui succède, nous a toujours été dépeint comme un homme hostile aux étrangers, mais doué d’une grande énergie de caractère et d’une haute intelligence. Il est le fils du vieux prince de Mito mis à mort par les officiers du prince d’Ikammon en 1860 ; c’est lui qui a été chargé par le mikado de nous chasser du Japon au mois de mai 1863, lorsque le taïcoun était retenu prisonnier dans Kioto ; c’est lui encore qui, au moyen de ses lonines, a fomenté pendant ces dernières années les luttes intestines qui ont ensanglanté la province de Yeddo. Depuis longtemps, il est considéré au Japon comme un des conseillers les plus intimes de la cour de Kioto. Nous devons, pour le juger, attendre ses actes ; mais, sans nous avancer beaucoup, nous pouvons prédire qu’il cherchera par tous les moyens a ne pas rompre avec les étrangers. Ses haines des années précédentes n’étaient que de la jalousie contre le taicoun. Devenu taïcoun lui-même, il se gardera de modifier une situation qui lui assure de grands avantages commerciaux et de puissans moyens d’action au détriment des autres princes. Stotsbachi est un homme de 37 ans environ. Sa nomination est un événement capital pour le Japon, parce qu’avec lui la branche des Mito arrive au pouvoir pour la première fois.