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comme matière première dans une foule de fabrications. Cette variété et cette abondance de produits, cette diversité et cette richesse de sol donnent naissance à un commerce intérieur considérable qui se fait principalement par cabotage. Les jonques arrivent chaque jour par centaines dans la mer intérieure ; il y a des momens où le détroit de Simonoseki en est tellement couvert qu’elles se poussent l’une l’autre. Elles échangent leurs produits contre ceux des riches contrées que baigne cet immense lac, puis viennent alimenter Osaka, la grande cité commerciale, à quelques lieues de Kioto, la capitale de l’empire.

Il est impossible de fournir une évaluation approximative de la production du pays. Depuis que la paix survenue en Amérique a mis fin à cet immense commerce de coton qui s’était établi en quelques mois avec l’extrême Orient, les thés et la soie sont devenus les seuls objets de valeur qui s’exportent du Japon, les thés par pavillon américain, à destination des ports des États-Unis, la soie à destination de l’Europe par les paquebots français et anglais qui desservent régulièrement trois fois par mois la place de Yokohama. Rien ne peut donner l’idée de ce que deviendrait le commerce d’exportation, si, au lieu de n’avoir qu’un débouché, les pavillons européens pouvaient traiter directement avec tous les princes de l’empire possesseurs du littoral. Personne ne soupçonne la richesse du pays ; en dehors d’un cercle très circonscrit de quelques lieues autour des trois places d’échange, les renseignemens manquent complètement, et les rapports des Japonais eux-mêmes ne sont que des suppositions plus ou moins exactes. Lorsque la victoire de Simonoseki obligeait en 1864 le gouvernement du taïcoun à permettre l’exportation des graines de vers à soie, la spéculation faisait au hasard ses contrats, comptant au plus sur une production de cent mille cartons, et se trouvait complètement déroutée, lorsque l’arrivée facile d’un nombre triple et quadruple de cartons renversait tous les calculs de la vente. Il en serait de même probablement pour la soie et le thé, si l’Europe se décidait à nouer des relations commerciales avec les grands feudataires de l’empire.

Cet aperçu de la richesse des produits que fournit le sol du Japon explique l’isolement dans lequel les habitans ont vécu pendant plusieurs siècles. Au premier abord, rien ne leur manque, et eux-mêmes le croyaient encore avant notre arrivée. Notre contact n’a nullement altéré l’état prospère que présentaient alors l’agriculture et l’industrie, suffisamment développées pour satisfaire aux besoins généraux du peuple ; mais il a donné naissance à des désirs nouveaux. Si, au point de vue philanthropique, on peut regretter pour les indigènes les effets contagieux d’un bien-être qui leur donne des