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étaient prises contre les conseillers Picquet de Montreuil, Charette de La Gascherie et de La Collinière ; enfin quelques semaines plus tard s’opérait l’arrestation de M. de Kersalaün, fréquemment signalé dans le journal du duc d’Aiguillon comme l’un des hommes les plus spirituels et les plus redoutables du parlement.

Cependant MM. de La Chalotais et de Caradeuc, escortés d’officiers qui avaient ordre de ne pas les perdre de vue un seul moment, furent conduits en poste et sans pouvoir prendre aucun repos à l’extrémité de la province. Arrivés à Morlaix, ils furent enfermés au château du Taureau, forteresse construite sur un rocher au milieu de la baie où se décharge la rivière de cette ville. Quelques invalides sous le commandement d’un chef subalterne occupaient seuls ce triste séjour, qui n’avait depuis longtemps reçu aucun prisonnier d’état, et où pas un logement n’était disponible en dehors des quelques pièces communes servant à la petite garnison. Là les deux infortunés furent enfermés séparément dans deux casemates humides où pénétraient à peine l’air et le jour. Un lit de camp servit de couche au vieillard, en proie à une grave maladie de vessie, et dont le nom, déjà célèbre, fut porté depuis son malheur par toutes les voies de la renommée aux confins du monde civilisé. Cette séquestration absolue dura trente-cinq jours. Tant qu’ils résidèrent dans ce château, les deux prisonniers durent faire apprêter leur nourriture par le vieux cantinier des invalides, et vécurent dans le dénûment le plus absolu. Ils n’y subirent d’ailleurs aucune sorte d’interrogatoire, ignorant quels délits leur étaient imputés et ne pouvant ni recevoir ni écrire aucune lettre, même sous la condition de la présenter ouverte au commandant du château. Les trois conseillers arrêtés avec les procureurs-généraux furent conduits au Mont-Saint-Michel, et, si les conditions matérielles de leur détention furent moins pénibles, les interdictions ne restèrent pas moins rigoureuses.

Pendant ce temps, le cabinet s’efforçait d’échapper aux conséquences des actes qu’il venait d’ordonner avec la plus inexplicable imprévoyance. Le lendemain de l’enlèvement des magistrats, leurs confrères démissionnaires étaient invités par le premier président à se rendre au palais en robe et en toque afin d’y prendre connaissance des volontés du roi. Ayant d’un commun accord déféré à cette invitation, ils entendirent la lecture d’une lettre de sa majesté dont ils déclarèrent préalablement, à raison de leurs démissions données et maintenues, n’être en mesure de recevoir communication qu’à titre de sujets respectueux. Le roi leur faisait savoir qu’il était disposé à prendre en considération la plupart des observations consignées par les états dans leurs cahiers de remontrances ; il leur